Il y a des défaites qui peuvent vous transformer ou, tout simplement, mettre fin à votre carrière. Dans l’enfer d’un week‐end de Coupe Davis complètement raté face à l’Inde, à Fréjus, en 1993, Rodolphe Gilbert, alors âgé de 25 ans, est appelé pour jouer le dernier match décisif à la place d’Henri Leconte. Face à lui, l’expérimenté Ramesh Krishnan, alors classé au delà de la 200ème place mondiale. Rodolphe s’incline en cinq manches un lundi, à 12h20. Pour GrandChelem et avec beaucoup de recul et de fair‐play, il revient sur cette petite tragédie.
Première sélection, un match décisif sur deux jours… Le sort ne vous a pas épargné !
« Effectivement… La pression était importante et je n’y étais pas préparé. Je l’ai découvert sur le court. Jouer en Coupe Davis, c’est quelque chose de différent. Peut‐être pas pour tout le monde, mais, quand on est assez franchouillard comme moi, cela pèse lourd, la Coupe Davis revêt une importance particulière. On ne peut pas dire qu’il s’agissait d’un baptême idéal… D’autant qu’en face, j’avais un gars qui avait vingt ans d’expérience derrière lui. Effectivement, il jouait moins, mais, dix jours avant, il avait mis 2 et 2 à Pioline, à Gstaad. C’est un mec qui savait jouer au tennis, ce n’était pas le peintre du coin ! »
Ce revers de Fréjus a provoqué un électrochoc dans votre carrière ?
« Si on ne parle que de ce match‐là, non. Il y a des défaites bénéfiques, mais celle‐là, en particulier, non. Je me suis repassé une centaine de fois le film du match dans la tête en espérant que le scénario change (rires) ! Cela remonte à loin, les souvenirs s’estompent avec les années… Pour moi, il y a prescription, cela fait bien longtemps que je n’y pense plus. Je n’ai pas rejoué en équipe de France derrière, mais, si cela avait été le cas, cela m’aurait servi. J’aurais abordé les choses différemment, j’aurais pris du recul par rapport à l’événement. »
En parlant de recul, ce doit être dur de se contenir quand on exerce le métier d’entraîneur et qu’on voit son joueur en difficulté…
« Il faut essayer de ne pas faire sentir au joueur qu’on envisage la possibilité qu’il y ait de la tension et la défaite au bout. Je crois que la plupart des entraîneurs intériorisent beaucoup… Ils essaient de transmettre du calme, de la sérénité à leur joueur. Je pense que les coachs qui ont été joueurs se mettent souvent en retrait de cette façon, même s’il y en a aussi qui aiment être plus démonstratifs. C’est un peu mon ressenti, mais je ne vois pas beaucoup de coachs qui font des bonds de quatre mètres à chaque point ! »
Après une défaite, le joueur ressent forcément de la frustration… Comment s’en accommode‐t‐on afin de repartir sur de meilleures bases ?
« Le tennis, c’est comme un quatre‐quarts : il y a la partie technique, la partie physique, la partie tactique et la partie mentale. Cette dernière, c’est celle de la résistance à l’échec – et à la victoire, car il y a des joueurs qui ont du mal à la gérer au cœur‐même d’un match. Il faut savoir maîtriser la frustration. Certains sont plus à l’aise quand ils sont menés, mais cela reste une minorité. Bon nombre de joueurs aimeraient qu’il y ait parfois des matchs nuls, que ce soit équitable… Mais, dans notre sport, ce n’est pas possible (rires) ! »
Lorsqu’on est coach, on est aussi impacté par la défaite. De quelle manière l’entraîneur y fait‐il face ?
« Oui, on subit la défaite, bien entendu. Mais, pour moi, cela a toujours été un peu différent, car je prends beaucoup de recul. J’essaie de me détacher du terrain, parce qu’il ne faut pas oublier qu’on ne joue pas. Malgré tout ce qu’on peut dire, préparer ou faire, c’est le joueur qui est sur le court. Il y a des tas de choses qu’on ne maîtrise pas. Cela dit, évidemment, cela m’est arrivé de vivre un match plus intensément qu’un autre. Par exemple, le troisième tour de l’US Open où Marc Gicquel bat Gaudio 7–6 au cinquième. Je peux vous assurer que je ne faisais pas le malin sur la fin ! »
Parmi toutes les défaites qu’un joueur subit au cours de sa carrière, y en a‑t‐il vraiment des bonnes, des défaites qui donnent un coup de boost plutôt qu’un coup de bambou ?
« Oui, il y a des défaites encourageantes, face à un garçon qui était mieux armé de l’autre côté du filet. Et puis, il y a les sales défaites : elles viennent comme un poing dans la figure et provoquent de vraies remises en question. Elles peuvent être la conséquence de beaucoup de choses : moins de motivation, un retour difficile après une blessure… Dans tous les cas, il faut retourner au boulot et mettre les bouchées doubles. Ces derniers temps, Nadal a pris de bonnes claques, des claques qu’il ne prenait pas avant. Je me doute qu’après sa défaite à Rio, le gars a peut‐être pris deux ou trois jours, avant de se remettre plus que jamais au travail pour le reste de la saison. Le rôle du coach, c’est d’appuyer là où cela fait mal, tout en rassurant, d’aider son joueur à ne pas se laisser aller, à ne pas être désabusé. »
Dernièrement, en 2012, Donald Young a connu 17 défaites d’affilée. Quand son cauchemar a pris fin, il a dit ne pas avoir lu ce que la presse écrivait sur lui et qu’il pouvait désormais rire de sa traversée du désert pour le restant de ses jours. Coup de bluff ?
« Les séries noires, je pense que les joueurs les regardent. Young savait très bien qu’il en était à 17 défaites d’affilée au premier tour… Et, le jour où la série s’arrête, cela fait drôlement du bien ! À mon époque, il y avait un joueur qui avait eu 22 défaites consécutives. Vincent Spadea. Il y a eu des passages où le gars n’arrivait plus à jouer ! Bizarrement, sa série prend fin lorsqu’il bat Rusedski à Wimbledon, un mec qui n’était pas le plus facile à éliminer sur gazon ! »
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Publié le jeudi 21 avril 2016 à 17:00