AccueilWimbledonBartoli : "Je veux rester la même"

Bartoli : « Je veux rester la même »

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Ce dimanche, Marion Bartoli a accordé une longue inter­view à la presse fran­çaise réunie à Londres. La Française revient en profon­deur sur sa première victoire à Wimbledon ainsi que sur les impacts que cet exploit aura sur la suite de sa carrière, et de sa vie.

Marion, c’est une victoire incroyable. Avez‐vous une expli­ca­tion à tout ça ?
Pas vrai­ment. Ce fut une aven­ture humaine fantas­tique. C’est ce que je retiens de ces quinze jours : les moments de partage que l’on a eus. J’avais vrai­ment l’impression d’évoluer en Fed Cup. Le fait d’être avec « Kiki » (Mladenovic), Alizé (Cornet), Caro (Garcia)… On avait l’impression de préparer une rencontre « France contre le reste du monde ». Cette ambiance‐là nous a permis de nous nourrir de l’aide de tout notre clan. Et du coup, de revivre ce que l’on avait déjà vécu ensemble à Besançon. Maintenant, j’ai hâte d’être sur le bord du court, ce soir, pour encou­rager « Kiki » pendant sa finale de double mixte. Cela ne restera pas « mon » Wimbledon, mais le Wimbledon de toute une Fédération, de toute une équipe. Cela ajoute encore plus de bonheur à mon titre.

C’est une victoire « collec­tive ». C’est ça le secret ?
Je pense. On s’est toutes soute­nues. J’ai été voir les matches d’Alizé, de « Kiki »… Pour préparer ma demi‐finale, j’étais sur le double mixte d’Alizé, sur le court n°12, en train de rigoler… Les gens devaient se dire : « Mais comment prépare‐t‐elle sa demi‐finale en regar­dant un double mixte ? » On s’est sans cesse soute­nues, sans riva­lité, sans jalousie. On a vrai­ment fonc­tionné comme une équipe qui espé­rait emmener les unes et les autres le plus loin possible. Encore une fois, cela restera des moments de partage excep­tion­nels. Hier, quand j’ai vu Kristina en pleurs au milieu de mon clan, j’avais l’impression d’être avec tout le staff de Fed Cup et de partager ça avec eux, avec mon père aussi. Et puis, voir Jean Gachassin, le Président de la FFT, en pleurs, qui m’attendait à la sortie du court, cela restera aussi un moment inou­bliable pour moi. 

Avez‐vous conscience d’être un modèle pour vos cama­rades de l’équipe de France, de les inspirer aussi ?
Non je n’en ai pas conscience, je n’ai pas cette préten­tion là. Mais le fait qu’elles soient avec moi, qu’elles puissent vivre ce moment avec moi, c’était beau. C’était des moments de valeurs humaines, de partage, de beauté du sport. C’était bien au‐delà d’un simple titre. C’était une ambiance de fête pour le sport fran­çais. Et cela restera pour moi, la plus belle journée de ma carrière, de ma vie. C’était des moments… excep­tion­nels. C’est diffi­cile de mettre des mots sur des moments qui procurent autant de bonheur. J’espère qu’il y a plein de jeunes qui ont vu ce match, qui vont s’en inspirer, prendre leur raquette demain, prendre leur licence, et qui voudront faire comme moi. Avoir la chance de vivre ça, c’est excep­tionnel dans une vie.

Que pourriez‐vous leur dire juste­ment ? Car vous en avez parcouru du chemin depuis Retournac, depuis vos débuts…
Que tout est possible quand on croit à ses rêves. En France, on a la chance d’avoir un système extrê­me­ment bien orga­nisé, avec un fran­chis­se­ment de paliers de tournoi en tournoi. Cela donne une chance à tout le monde. C’est extrê­me­ment impor­tant. La FFT fait un travail excep­tionnel auprès de chaque Ligue. Je viens d’un village de 2 500 habi­tants, au milieu de la Haute‐Loire. C’est diffi­cile de partir de plus loin. Et pour­tant, je suis arrivée tout en haut. Cela montre que nous avons un système très bien orga­nisé. Et si derrière, il y a l’abnégation, le travail, l’envie profonde d’y arriver, et peut‐être un tout petit peu de talent aussi, on peut le faire…


Avec un tout petit peu de recul, réalisez‐vous la portée de votre exploit, l’un des plus grands du sport fran­çais de ces dernières années…

Non, c’est juste incroyable. J’ai du mal à réaliser. Je pense que je pren­drai vrai­ment conscience de tout ça quand je vais rentrer en France. Je suis quelqu’un de très simple, de très humble, tota­le­ment anti‐star. Pour moi, c’est extrê­me­ment impor­tant de garder les pieds sur terre. De conti­nuer à télé­phoner pour réserver mon court d’entraînement. De respecter tout le monde. De rester juste la même. Surtout ne pas changer. Les gens qui m’ont accom­pa­gnée durant toute cette quin­zaine sont restés les mêmes du premier match sur le court n°14, à la finale sur le centre court. Ca, pour moi, ce sont des valeurs humaines que j’aime avoir. J’espère ne jamais changer. Mais, me dire que c’est moi qui ai gagné Wimbledon cette année, de voir mon nom gravé à jamais au palmarès de ce tournoi, c’est juste exceptionnel.

Si vous deviez garder une seule image de ce tournoi, ce serait laquelle ?
C’est quand je cours vers la « box » à la fin, je vois « Kiki » avec son tee‐shirt jaune en pleurs et tout mon clan qui s’est levé comme un seul homme. Tous prati­que­ment sont en pleurs. C’est ce moment de partage que je retiendrai.

Avant la finale, est‐ce que l’on imagine ce que l’on va faire si l’on gagne ?
Non, c’est tota­le­ment spon­tané. On ne peut pas calculer ce moment là. C’est un tel moment d’émotion. Quand je vois la pous­sière blanche de la craie qui vole… Il y a 40–0, c’est le dernier point. J’ai dû servir dix millions de services à l’entraînement. Et là, sur la balle de match, pour le titre à Wimbledon, sur le point peut‐être le plus impor­tant de ma carrière, je sers un ace. Et là, j’ai dix secondes où j’ai un vide total. Je ne sais plus ce que je fais. C’est un bonheur… C’est un moment telle­ment exceptionnel…

Comment imaginez‐vous l’avenir ? Vous dites ne pas vouloir changer, mais le regard des gens autour de vous va, lui, forcé­ment changer…
Oui, mais le plus impor­tant, c’est de rester soi‐même. Je suis une passionnée de tennis. J’aime profon­dé­ment ce sport. Je vais conti­nuer à suivre mes amis, qu’ils jouent des tour­nois impor­tants ou des 10 000 dollars, peu importe. Je vais très vite rejouer au tennis, parce que j’aime trop ce sport. Être sur à nouveau un terrain, c’est un bonheur absolu. Après, mon corps a besoin de se reposer aussi. Mais être sur un court de tennis, cela va être mon programme pour les prochains jours. 

Ce soir, il y a la fameuse soirée des cham­pions de Wimbledon. C’est un moment magique…
En fait, on veut à tout prix gagner Wimbledon rien que pour vivre cette soirée là (rires). Surtout quand on est une fille. Avec « Kiki », on va bien « déchirer » le bal ! Ca va être un grand moment. Bon, j’ai quand même d’énormes ampoules sous les pieds, donc je vais souf­frir quand je vais mettre les chaus­sures à talon ! Mais ça va être une belle soirée, c’est sûr.


Finalement le tournoi de Wimbledon, ce n’est rien en termes de fatigue à côté de tout ce qui suit derrière : le mara­thon média­tique, le bal…

C’est vrai ! La finale, par rapport aux quatre heures consa­crées à la presse qui ont suivi, ce n’était rien ! (rires) Mais c’est un bon problème. Je peux assumer un problème comme celui‐là !


Pour revenir au tournoi, on a l’impression que plus vous avan­ciez dans l’épreuve, plus c’était facile entre guille­mets pour vous…

En fait, mon niveau de jeu s’est élevé. J’ai eu deux matches extrê­me­ment durs contre Giorgi et Stephens. Sur ces deux rencontres, j’ai dû m’arracher et puiser au plus profond de moi‐même. Après, tout s’est bien enchaîné, j’ai joué de mieux en mieux. Je me suis faci­lité la tâche. Dans un tournoi du Grand Chelem, il y a des matches clés, tests, qu’il faut arriver à fran­chir. Au fur à mesure que le tournoi avan­çait, j’ai gagné en confiance.

Y a‑t‐il eu un match char­nière dans votre tournoi ?
Oui, effec­ti­ve­ment. C’était le match contre Giorgi au troi­sième tour. C’était un match capital. J’avais perdu très sèche­ment contre elle à Strasbourg, quelques semaines aupa­ra­vant. Etre arrivée à la battre ce jour‐là, le regard que j’avais contre elle… je crois que c’était encore plus intense que la finale. J’ai très bien géré ce match, car il y a eu aussi une inter­rup­tion à cause de la pluie. Je m’en suis sortie en deux sets, et cela m’a donné énro­mé­ment confiance pour la suite.

Maintenant, quel est votre programme pour les prochains jours, les prochaines semaines ? Un peu de repos bien mérité ?
Oui, je vais me reposer bien sûr. Forcément. Mais seule­ment sur le plan mental et psychique. Tout ce qui suit la finale pompe beau­coup d’énergie. Parce que physi­que­ment, j’ai très bien récu­péré. Je vais rapi­de­ment reprendre l’entraînement. L’US Open est une grande échéance pour moi. Je vais essayer de bien gérer mon été. Mais pour l’instant, je vais essayer de savourer.