Numéro 29, juillet 2012, Roger Federer remporte son 17ème titre du Grand Chelem en dominant Andy Murray en finale. Pour pouvoir comprendre le phénomène suisse, on demande à Julien Jeanpierre, grand espoir tricolore qui l’a bien connu au début de sa carrière, de nous décrire une partie de l’intimité de Roger. Nous avons sélectionné le meilleur de cet entretien. Aujourd’hui, Julien Jeanpierre est coach au sein de la Mouratoglou Academy.
Quelle était la nature de tes rapports avec Roger Federer ?
Mes premiers souvenirs avec lui, c’est en cadet. J’étais en cadet 2 et lui en cadet 1. On voyait qu’il avait déjà une vraie main, un timing très précis. En revanche, tout le monde voulait le jouer à cette époque, car, mentalement, il était plutôt friable (rires). En fait, il s’énervait très rapidement et ça lui coûtait souvent le match. Si on parvenait à résister et à le titiller, le duel pouvait tourner court (rires)… Puis, en Juniors, il a commencé à se calmer. Et, là, on s’est vraiment tiré la bourre.
Plus que ça, même !
N’essaie pas de me rappeler ce mauvais souvenir…
C’est-à-dire…
Concrètement, je suis numéro un mondial durant 51 semaines et, la 52ème, il me passe devant. J’étais vert…
Aujourd’hui, vous entretenez des rapports réguliers ?
Pas tellement non. Je ne suis pas en contact direct avec lui. Je n’ai pas son numéro de téléphone, même si je pourrais l’obtenir. En fait, je passe soit par son coach, soit par Yves Allegro qui est très proche de lui, quand j’ai quelque chose à lui dire. Et puis, je le croise assez souvent maintenant que je suis revenu sur le circuit. J’ai souvent été sparring‐partner avec lui depuis deux ans, à Roland Garros.
Ah oui ?
Oui et c’est assez drôle. Comme j’aime le jeu, je me propose toujours auprès de l’organisation pour être sparring durant la quinzaine. Un matin, on me demande naturellement si je suis libre pour taper la balle. Une fois que je reçois des précisions et que j’apprends que ce sera sur le Central, je me suis dit qu’il y avait la possibilité, voire la certitude, que je tape avec un top player. Quand je suis entré sur le court, Roger a crié : « Non, c’est pas possible ! Julien ! » Un super moment !
Tu te rappelles de toutes tes confrontations avec Roger, en Juniors ?
En fait, on s’est joué deux fois, deux semaines de suite, en finale des deux tournois de préparation à l’Open d’Australie. Il m’a battu la première fois et j’ai gagné la deuxième. Avant, j’étais quasi‐numéro un chez les cadets et lui n’était pas très fort. Il possédait une super technique, mais il manquait de force. Je me souviens qu’il ne faisait que des chops, en revers. Il avait une bonne qualité de balle, mais il était très irrégulier et, comme je l’ai dit précédemment, il pétait vite les plombs. Il était capable de casser trois raquettes en quatre jeux assez régulièrement… Il faisait partie des plus nerveux. C’est drôle, parce que, à l’époque, il n’était pas capable de me dominer. Il n’y arrivait pas. Mais, un jour, en 1996, il m’a mis 6–3 6–0. Et, là, c’était bon. Il avait compris. A la sortie du court, je lui ai dit : « C’est simple pour toi, le tennis : une première balle de service efficace, suivie d’un coup droit. Il a ri.
Aujourd’hui, il donne une image d’inaccessibilité. Mais, en Juniors, c’était un bon camarade ?
Attention, il l’est encore ! Peut‐être même plus ! Il est très bien entouré, surtout par sa femme, qui, au départ, n’était pas très appréciée. Mais, en fait, c’est l’une des meilleures choses qui lui soient arrivées dans sa carrière, après son premier entraîneur. Elle gère formidablement bien tout ce qui entoure cette icône mondiale – car c’est une icône. On ne se rend pas compte de toutes les sollicitations que Federer suscite. C’est un truc de fou ! S’il paraît inaccessible, c’est parce qu’elle a tout verrouillé et qu’il est obligé de dire non à beaucoup de monde. Mais, franchement, heureusement ! Autrement, il ne s’en sortirait pas. Pour le reste, c’est bien calé et millimétré. D’où cette image dont tu parles quand on ne le connaît pas. Mais, dans la réalité et le quotidien, au contact, c’est tout le contraire. C’est un gars qui discute avec tout le monde dans les vestiaires. Avec Yves Allegro, ils ne font que plaisanter en permanence ! Roger est vachement déconneur. C’est un peu le roi de la blague… (Rires)
Tu as une anecdote insolite à son sujet ?
Oui, j’en ai une qui remonte à 2008. Je l’ai croisé dans les vestiaires, à Roland Garros, avant sa finale contre Rafael Nadal. Il me dit : « Il est chiant l’Espagnol, il ne va pas me refaire le même coup tous les ans ! Je vais essayer de le battre, je vais faire comme tu m’as dit en 96 : une première balle efficace et un coup droit… et ça va marcher. » Je lui avais fait cette réflexion 12 ans auparavant lorsqu’il m’avait mis une raclée et il s’en rappelait. C’est quand même dingue. En fait, Roger a une mémoire d’éléphant. Là‐dessus, il est incroyable, il se rappelle de tout. Le fait de nous battre pour la première place toute l’année en Juniors, ça nous a forcément rapprochés. Par exemple, quand on a disputé l’Orange Bowl, j’étais tête de série numéro deux et, lui, numéro un parce qu’il était devant moi à l’ATP. Au premier tour, je joue Feliciano Lopez, qui était déjà 300ème au classement ATP, mais qui n’avait pas été désigné tête de série par les organisateurs. Ca avait fait un scandale chez les Espagnols qui voulaient boycotter le match. J’ai perdu 7–5 au troisième et lui a fait demi‐finale derrière. Ces demi‐finales, si je les atteignais, j’étais sûr d’être Champion du Monde Juniors. Mais, avec cette défaite, il fallait que Roger perde au premier tour pour que je reste numéro un… Il a sauvé trois balles de match contre un Letton… et il a gagné le tournoi.
Publié le vendredi 17 avril 2020 à 14:24