Chaque année réserve son lot de surprises et de nouveaux venus. En 2010, l’imprévu, l’étonnant, l’inattendu ont éclos en Autriche : le nouveau venu au milieu des meilleurs s’appelle Jurgen Melzer. 28ème joueur mondial fin 2009, il termine, cette saison, au 11ème rang du classement ATP.
Comment ? C’est simple : une demi‐finale à Roland Garros, des huitièmes à Wimbledon et Flushing, un titre à Vienne, une finale à Hambourg et ses tous premiers quarts en Masters 1000, à Madrid, Shanghai et Paris‐Bercy. De quoi ne le laisser qu’aux portes du top 10, à 135 petits points de Mikhail Youzhny.
Pourquoi ? La question est autrement complexe. Ce joueur, relativement anonyme aux yeux du grand public, dont les connaisseurs pointent l’instabilité et l’inconstance malgré une qualité certaine, s’est transformé progressivement depuis son titre à Vienne, fin octobre 2009. A l’époque, Melzer végète entre la 30ème et la 50ème place mondiale. Il réussit un beau parcours devant son public, s’offrant Stepanek et Cilic en deux sets assez secs. « C’est une expérience vraiment incroyable, un véritable accomplissement pour moi », affirme‐t‐il après sa balle de titre. « Je suis vraiment heureux. » Ce trophée, le deuxième de sa carrière, a débloqué des choses. Pourquoi ? Peut‐être s’en sont suivies des discussions avec Nyström, son entraîneur… Peut‐être, probablement.
Toujours est‐il que le Jurgen nouveau attaque changé cette année 2010. La mise en route est difficile, certes, et sa tournée océanienne mauvaise – 2 victoires ‑3 défaites pour le mois de janvier. Mais, dès février, son jeu semble plus sûr. Il enchaine, d’ailleurs, deux belles demies, à Zagreb et Dubaï, battant, au passage, son premier top 10 de la saison, Marin Cilic, numéro 9 mondial. Après un petit creux – en cause, pas de bol, Roddick et Verdasco deux fois qui se dressent sur sa route –, il perfe une deuxième fois : à Madrid, ce même Fer ne l’aura pas trois fois ; il le bat 5 et 3 et se hisse jusqu’en quarts.
Madrid, c’est une chose. Roland, c’en est une autre – et une sacrée ! « Venir après un quart à Madrid m’a donné pas mal de confiance », expliquera‐t‐il à l’issue du tournoi. « J’ai souvent perdu au troisième tour et je me demandais si je réussirais, un jour, à le passer… » Et bien oui. D’ailleurs, son troisième tour, il est superbe : David Ferrer, 11ème à l’ATP, dominé 6–4 6–0 7–6(1), il y a de quoi jubiler. Mais le meilleur est à venir… Après s’être sorti des griffes d’un Gabash’ surprise, il construit son plus beau monument. En quarts de finale, contre un certain Novak, numéro 3 mondial, il remonte de deux manches pour s’imposer en cinq. 3–6 2–6 6–2 7–6(3) 6–4 et 4h15 de jeu. Que s’est-il passé au cours de cette rencontre ? Parole à l’accusant : « J’ai changé de match ! La seule chose que je me sois dite, c’est que c’était mon premier quart de finale en Grand Chelem alors, je ne devais pas baisser les bras, je devais me battre. Je ne jouais pas si mal, mais je ratais l’opportunité de finir les points. A un moment, c’est devenu un match ouvert. J’aurais dû gagner le quatrième set plus rapidement, et le cinquième était une bataille tout du long. » Parole à l’accusé : « Il a très bien joué dans les trois derniers sets, mais j’ai commis une grosse erreur : celle de le remettre dans le match avec mes fautes directes. Il a saisi la balle au bond et après il ne l’a plus lâchée, en servant notamment très bien. Je suis très déçu, évidemment, d’avoir perdu un match dont j’avais le contrôle. C’est le tennis, c’est les Grands Chelems. » En demie, c’est Nadal qui l’attend. La défaite, 6–2 6–3 7–6(6), semblait inévitable et reste anecdotique. Malgré la « déception ».
« Je ne devais pas baisser les bras, je devais me battre »
Sa saison pourrait s’arrêter là, elle serait réussie. Pour la première fois de sa carrière, il intègre le top 20 (16ème) et se présente à Wimbledon avec la légitime ambition de passer les seizièmes. Pari tenu, pari gagné, il atteint les huitièmes. Où Roger Federer l’exécute sans sommation, 6–3 6–2 6–3. Ils ne s’étaient jamais rencontrés, Roger se méfiait… « Ce sera clairement un match compliqué. Jurgen s’est amélioré, a grimpé au classement. A moi d’arrêter sa progression. » Fed reste Fed, Melzer marche sur un fil : ses spectres passés ne sont jamais très loin, même si, le temps passant, il s’en préserve de mieux en mieux. « J’étais mal, je n’ai pas trouvé mes sensations sur le court », dixit le garçon sur la terre de Stuttgart, après un four contre Albert Montanes. Comme si constance et lui faisaient encore ménage tumultueux…
A Hambourg, la semaine d’après, il nourrit des regrets : le plateau est bien triste, il atteint la finale… qu’un Golubev en feu lui vole sans coup férir. Bien peu d’enseignements dans cette semaine allemande, Jurgen n’y bat que des tops 100, des Schwank, Chardy, Starace ou Seppi. Sa tournée des US, un échec, est sauvée par un joli Flushing. Un huitième de finale, une balade contre un ex‐finaliste (Juan Carlos Ferrero) et une nouvelle rouste face à Maître Roger.
Sa saison est finie ? Le repas terminé ? Oh non, messieurs, restent quelques cartouches au sieur Melzer. A Shanghai, il remet le couvert, cette fois face au numéro un. 6–1 3–6 6–3, contre Rafael Nadal, « what a victory ! » La recette du chef ? Simplissime : « La clé était de lui mettre un maximum de pression. On ne peut pas se permettre de laisser Rafa jouer son jeu. S’il s’installe avec son coup droit, il est juste trop fort. J’ai donc essayé de prendre la balle tôt. J’ai aussi très bien servi, particulièrement dans les moments importants. J’ai exécuté mon plan de jeu, à savoir le mettre sous pression surtout sur son côté coup droit. Pour être honnête, j’avais appris de mes précédentes défaites face à Nadal. Le premier match aux Jeux Olympiques était un four. Puis il y a eu cette demi‐finale à Roland Garros contre lui. J’avais fait un très bon match, et même si j’avais pris trois sets secs, j’avais failli en gagner un. Sachant qu’en plus la terre battue est sa meilleure surface. En tout cas, je suis très content de ma victoire ! »
Son digestif 2010 ? Rafael Nadal
A Vienne, où tout a commencé, c’est loin d’être facile, mais il garde son titre, le premier, cette saison, son troisième en carrière. Toujours la même saveur, ces trophées autrichiens au parfum de chez soi. « C’est vraiment sympa de revenir jouer à la maison. C’est un privilège que vous n’avez pas toutes les semaines et de belles sensations. » Puis c’est enfin la fin, le tournoi de Bercy. Et une bonne note en prime : un quart en Masters 1000, c’est toujours bon à prendre ; battre David Ferrer, numéro 7 mondial, ça l’est bien également…
En résumé, on appelle ça une « saison progression ». Pour Jurgen, le palier est passé : il semble avoir acquis une sérénité et un bel équilibre. En témoignent : sa saison, assez dense et compacte – 51 victoires contre 25 défaites – et ces perf’ qu’on lui sait ; ses 5 victoires‐ 8 défaites contre des gars du top 10 – number one et number three en prime ! sa première victoire en cinq sets, à l’issue d’un retour de deux sets à zéro ; son titre défendu à Vienne. Psychologiquement, le bonhomme est un autre. Le déclic ? On vous l’a déjà dit : « Je suis un bon joueur de tennis. Il manquait deux petits maillons par ci, par là, mais je croyais en moi‐même ! J’ai toujours eu suffisamment de jeu pour disputer de bons matches. Il y a eu un déclic à Vienne, l’an dernier : j’ai gagné chez moi, et plus vous gagnez de matches au haut niveau, plus vous gagnez de confiance en vous. Pour moi, ce n’était pas une question de talent, mais une question de mental. » Voilà.
Jurgen Melzer est le seul représentant de son pays dans le top 100. L’Autriche a donc trouvé un Ambassadeur de choix en sa personne. D’autant que le garçon reste fidèle à ses racines. Habitué du tournoi de Vienne, qu’il a remporté ces deux dernières années – on le répète –, il ne snobera pas l’épreuve dans les saisons à venir, malgré son statut nouvellement acquis : le Viennois s’est engagé, cette année, à disputer les trois prochaines éditions du tournoi. Confirmation d’Herwig Straka, Directeur : « Le vrai bon coup du tournoi, ce n’est pas le retour de Muster, mais bien plus le contrat de trois ans établi avec Jurgen Melzer. » Sans faire offense à la vieille gloire Thomas, le pari Melzer, c’est un peu plus l’avenir, même si la bête n’est pas vraiment toute jeune.
« Il y a eu un déclic à Vienne »
Melzer, fidèle à son pays. Son engagement en Coupe Davis le montre aussi. Une équipe portée à bout de bras, un sans‐faute, une remontée dans le Groupe Mondial… Deux simples, deux victoires en trois sets, face à la Slovaquie de Lacko ; deux simples, deux victoires en trois sets, face à l’Israël de Levy et Sela. Ce Jurgen‐là, c’est un peu le Djoko autrichien : deux points assurés, leadership assumé. Sauf qu’en plus, lui joue également le double ! Quand on vous dit qu’il la porte à bout de bras, sa sélection… Aux côtés de Knowle, les Slovaques n’ont pas fait un pli ; aux côtés de Peya, il s’est incliné face à Erlich et Ram, des spécialistes. D’ailleurs, il faut le remarquer – c’est remarquable –, Jurgen Melzer fait partie de ces rares élites à être au plus haut tant en simple – 11ème –, qu’en double – 9ème, excusez du peu ! En paire avec Petzschner, en paire avec Erlich, cette année, il a gagné rien moins… que Wimbledon, le Masters 1000 de Shanghai et l’Open de Zagreb. Résultat : s’il n’y était pas en simple, il s’est retrouvé, en double, aux Masters de Londres.
Fermons la parenthèse, revenons à nos moutons et à la Coupe Davis. Evidemment, en mars prochain, contre la France, au premier tour, l’histoire risque d’être plus compliquée – Luckas Lacko n’est pas Gaël Monfils, Dudi Sela n’est pas Tsonga. Il n’empêche, l’homme est craint, c’est Forget qui le dit : « C’est un joueur extrêmement dangereux. Dans un bon jour, il peut prétendre à gagner les deux simples. C’est le tour piège par excellence, donc il faut se méfier. »
Ah ! Dernière chose ! Quand on parle de Melzer, on parle d’un bon joueur de simple, d’un bon joueur de double, d’un excellent revers, d’un tennis séduisant aux risques maximaux, aujourd’hui, d’un type équilibré… Mais aussi d’un sacré Don Juan. Le bougre… Nicole Vaidisova, Anastasia Myskina, Dominika Cibulková et, maintenant, Mirna Jukic, nageuse de son état. Casanova infatigable, Melzer a ses Grands Chelems hors court. Celui qui a été élu « sportif autrichien de l’année 2010 » en devient énervant. Tant de réussite… Un jour, ça retombera, mais pas l’année prochaine, c’est tout l’mal qu’on lui souhaite !
Les plus beaux points de la victoire de Melzer sur Rafa à Shanghai :
Publié le lundi 13 décembre 2010 à 10:01