« Les Français sont auto‐centrés », nous confiait Patrice Dominguez. On le voit, aujourd’hui, par la foultitude d’avis, d’analyses et autres… sur la défaite des Bleus. Mais cette défaite des Bleus, c’est le fait d’une victoire. La victoire des Serbes. Alors, attardons‐nous un peu sur ces points‐clefs qui ont construit le titre de la bande à Djoko. Tout de même ! la Serbie vient de remporter sa première Coupe Davis ! Un succès énorme et mérité, qui couronne un leader, un collectif et une nation.
Un leader
Un leader comme Novak Djokovic, ça n’a pas de prix. Le garçon, outre ses qualités tennistiques, fait preuve d’un état d’esprit exemplaire et d’un engagement sans faille pour son équipe et son pays. A la Rédaction de WLT, que l’on soit federien ou nadalien, on est unanime lorsqu’il s’agit de reconnaître la classe et le professionnalisme de Djoko. Cette Coupe Davis 2010 l’a vu assumer son statut et répondre présent de parfaite manière : Novak a disputé sept matches en simple, pour sept victoires. John Isner, Sam Querrey, Marin Cilic, Ivan Ljubicic, Tomas Berdych, Gaël Monfils, Gilles Simon… Circulez, y a rien à voir ! même si Isner n’était pas loin, le 7 mars dernier (victoire 7–5 3–6 6–3 6–7(6) 6–4)… Surtout, Novak s’est montré intraitable lors des deux simples les plus importants de l’année, en finale, face à des joueurs capables, plus ou moins, de le gêner. Neuf jeux à Simon, huit à Monfils, il n’a laissé que des miettes et leurs yeux pour pleurer.
Pour une équipe, avoir Djoko dans ses rangs, c’est deux points assurés. Ne reste plus qu’à remporter un match et la victoire est dans la poche. Un avantage incomparable qui soulage, sans aucun doute, ses coéquipiers. Ces derniers trouvent en Djokovic une manne de confiance considérable. Portés par sa réussite sportive, ils le sont également par son charisme et son naturel leadership. Quand on le voit comme on l’a vu dimanche, au bord du court, serrant les poings, haranguant le public, supporter à fond et jusqu’au bout le gars sur le terrain… On imagine l’énergie que ça doit insuffler dans un groupe. D’autant que le bonhomme semble avoir une foi inébranlable dans son équipe. « La France peut choisir Monfils, qui joue actuellement un des meilleurs tennis de sa carrière, ou Llodra , toujours coriace en Coupe Davis… Ou Simon, ou Gasquet ! Ils ont vraiment une bonne équipe, mais nous pouvons battre n’importe qui, sur n’importe quelle surface, dans n’importe quel pays », expliquait‐il à la veille de la finale. Une foi, une confiance, une inconscience qui le ramènent à l’essentiel : son groupe et ses qualités collectives. « Nous préférons nous concentrer sur notre équipe. Nous ne cherchons pas à savoir qui sera le second joueur de simple, car tous sont très bons. Quoi qu’il en soit, nous sommes prêts à affronter n’importe qui. » D’ailleurs, le sélectionneur serbe, Bogdan Obradovic, ne mâchait pas ses mots quand il dissertait, pour L’Equipe, sur l’importance du numéro trois mondial dans le groupe serbe, sur son rôle et son impact dans la confiance et l’ambition de ses coéquipiers. « C’est considérable. Il est non seulement le leader de cette équipe, il est aussi quelqu’un qui a ouvert les yeux aux autres joueurs. Il leur a montré que nous pouvons avoir de bons résultats dans les sports individuels. »
Ce n’est pas pour rien que le bonhomme est adulé dans son pays. « Novak Djokovic est le plus grand sportif que la Serbie ait jamais connu ! », disait Janko Tipsarevic, il y a quelques mois déjà. Pour Sport365, Momir Jelovac, journaliste serbe, affirmait également : « Il [Novak Djokovic] est toujours très accessible, très poli, très juste. Son comportement est irréprochable. Il a une fantastique éducation. » Ceci explique cela et, selon Dusan Batakovic, Ambassadeur de Serbie en France, « chez lui, Djokovic est considéré comme un dieu. » « Il fait beaucoup pour le pays. Il le représente très bien. » A tel point que… « Peut‐être embrassera‐t‐il une carrière politique après sa carrière sportive. » Oui, oui, rien que ça. De quoi envier les supporters serbes et se languir d’un Djoko français…
Un collectif
Mais, attention ! Si Djokovic s’est fait grand artisan du titre serbe, cette victoire est aussi une victoire collective, la victoire d’une équipe soudée, tant sportivement qu’humainement. « Nous avons ce qu’aucune autre équipe possède », affirmait Nole, dimanche soir. « Nous sommes amis à la fois sur le court et dans la vie privée. C’est ce qui nous a permis de remporter le titre. » Cet état d’esprit est décisif, dans la seule compétition collective d’un sport individuel. Pour Troicki, également, « c’est un travail d’équipe qui a permis cette victoire. » « Notre force vient du collectif. C’est comme si nous étions frères. » Ces frères‐là ont sensiblement le même âge, entre 23 et 26 ans, tempérés par l’exception Zimonjic, 34 ans, 15 années de présence en équipe nationale et 53 matches disputés au compteur. De quoi constituer un groupe homogène et équilibré dans lequel « l’amitié est une vraie force », confirmait Bogdan Obradovic, dans L’Equipe.
Mais qui ne serait rien sans les qualités tennistiques des uns et des autres. Le niveau de jeu de Troicki ce dimanche l’a prouvé : il n’y a pas Djokovic et le désert, mais Djokovic, et Viktor, et Janko. Ces deux‐là ont toutes les qualités de vrais coupeurs de tête. Tipsarevic avait battu Berdych et Stepanek, contre la République Tchèque, et la paire croate, aux côtés de Zimonjic ; Troicki avait dominé Isner, contre les Etats‐Unis, avant d’offrir le point du titre, contre Llodra et les Français. Tipsa, cette année, c’est des victoires contre Murray, Roddick, Querrey ou Baghdatis. Pas mal pour un joueur naviguant globalement entre la 40ème et la 60ème place mondiale. On s’en rappelle, c’est aussi lui qui a battu Gaël Monfils à deux reprises ces deux dernières années, qui a écarté Andy Roddick à Wimbledon ou poussé Roger Federer au cinquième set, à l’Open d’Australie. Troicki n’est pas en reste, auteur d’une très grosse fin de saison. Il y a 11 mois, il prenait 1 et 3 contre Nadal à Doha ; début octobre, c’est au terme de trois sets au couteau qu’il s’incline contre le numéro un, à Tokyo (6–7(4), 6–4, 6–7(7)). Un peu avant, il avait tenu tête à son leader en Coupe Davis, Novak Djokovic, lors de l’US Open (défaite 3–6 6–3 6–2 5–7 3–6). Des résultats et une vraie dynamique, puisque Viktor a remporté 12 de ses 15 derniers matches, dominant, au passage, des Melzer ou Tsonga. Son coach, Jan de Witt, expliquait, il y a peu, dans L’Equipe : « Il [Viktor Troicki] a toutes les armes pour faire mal, il progresse au filet et il est très fort physiquement. Tout est en train de se mettre en place. Il joue bien mieux que quand il était 24ème mondial [NDLR : son meilleur classement, en août 2009]. Et, surtout, il a une bonne attitude, c’est une bonne personne élevée par des parents qui ont les pieds sur terre. » On a vu pire hommage… D’ailleurs, début novembre, après qu’il a atteint les demies à Tokyo et Bâle et remporté le titre à Moscou, Tipsarevic, via Twitter, confiait à son propos : « Je ne suis pas sûr de l’avoir déjà vu aussi bien jouer. »
Une nation
Un leader, un groupe et… une nation. Voilà les clefs du titre serbe. Ces individualités au service du collectif affirment haut et fort leur amour du maillot et leur amour du peuple. « La sensation que vous éprouvez lorsque vous défendez les couleurs de votre pays est totalement différente que celle que vous procure n’importe quel autre événement », explique Djokovic. « C’est l’unique occasion de ressentir cet esprit d’équipe et la fierté de représenter votre pays. » « Un petit pays », qui a « connu beaucoup de problèmes par le passé », « pour qui jouer une finale de Coupe Davis est quelque chose d’énormissime », renchérit Tipsarevic. Les quatre serbes portaient sur leurs épaules d’immenses attentes, d’immenses espoirs, comme l’ont prouvé la jubilation et l’enthousiasme inouïs des médias locaux à l’issue de la victoire finale. « Les dieux du tennis vivent à Belgrade », « Champions du monde » ou « Les Mousquetaires sont serbes »… Les superlatifs ne suffisaient pas pour qualifier ce titre historique – et on le comprend ! Cette finale, c’était « le plus grand événement de tennis que la Serbie ait connu, et peut‐être même du sport en général », confiait Momir Jelovac, pour Sport 365. Pour Djoko et sa bande, impossible de se défiler ou passer à côté.
Mission accomplie, pour un trophée national. Cette Coupe Davis, la Serbie la mérite. Elle est allée la chercher, au bout de rencontres souvent difficiles, notamment en demie et en finale, où il lui a fallu remonter un handicap et remporter les deux points du dimanche. Le classement de la Coupe Davis la place désormais deuxième, derrière une Espagne relativement lointaine. La France, elle, est cinquième et peut se mordre les doigts d’avoir laissé filer le saladier d’argent, après d’énormes succès contre l’Espagne et l’Argentine.
Que nous a‑t‐il manqué pour dominer les Serbes ? Un peu de tout ce qui offert le titre à ces derniers.
Publié le mardi 7 décembre 2010 à 16:44