Après Guy Forget et Patrice Dominguez, GrandChelem/WeLoveTennis s’est intéressé à un Capitaine important de l’histoire de l’équipe de France, Jean‐Paul Loth, sélectionneur de 1980 à 1987. Plus que sa manière d’envisager la finale Serbie‐France, ce sont ses souvenirs piqués d’anecdotes qui rendent l’entretien croustillant.
Aujourd’hui, vous avez peur d’aller jouer en Serbie ? Les histoires d’empoisonnement, les situations critiques des matches à l’extérieur, ce n’est pas du passé ?
Il y a eu une amélioration due à plusieurs points, ces vingt dernières années. Le premier, c’est qu’auparavant, l’arbitrage était assuré par des autochtones. Le juge‐arbitre était, de temps en temps, d’une autre nationalité, mais l’arbitre de chaise, lui, et les juges de ligne, ils étaient tous du coin. Et, ça, à la base, pour moi, c’est tricherie. A chaque fois qu’il y avait une rencontre dans les pays de l’est, en URSS, en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Yougoslavie… on était très, très mal à l’aise. On partait en sachant qu’on se ferait arnaquer par l’arbitrage. C’était déjà très compliqué. Ensuite, en ces temps‐là – et ça continue un peu –, ces peuples étaient extrêmement nationalistes lorsque leurs épiques donnaient le sentiment d’avoir le dessus. Quand vous étiez supérieurs à leur équipe, vous pouviez les asseoir et les mettre à genoux définitivement. Mais, dès qu’ils sentaient que leur équipe avait la possibilité de l’emporter, ils devenaient infernaux et extrêmement limites, à faire du bruit, par des hurlements, des éternuements, des sifflets, quand votre joueur sert, quand il va taper un coup droit difficile… Dans la plupart des cas, c’était parfaitement orchestré et voulu. Et, le problème, c’est que ces types de comportements, ils existent encore aujourd’hui.
Mais est‐ce que ça ne fait pas partie du décor de la Coupe Davis ?
Non, pour moi, ça n’a rien de positif, ni en termes d’ambiance, ni en termes sportifs. Ce n’est pas plus positif qu’au football, qu’au basket ou qu’au hand. Que les supporters soient enthousiastes, qu’ils applaudissent leur équipe et moins l’équipe adverse, etc., c’est normal. Mais quand ça dépasse les règles d’éducation et de sportivité élémentaires, c’est juste nocif et antisportif, quels que soient les sports. D’autant qu’il y a déjà eu, par le passé, des ambiances extraordinaires en Coupe Davis, sans qu’on n’ait jamais eu l’impression d’être en danger, sans que le public ne gêne les joueurs adverses – c’était le cas, à Lyon, en 91, mais aussi ailleurs ! Il y a toujours un ou deux imbéciles, dans ces rencontres, qui applaudissent une double ou un retour dans le filet, mais ça reste anecdotique. Le fait d’être antisportif n’a jamais produit une ambiance agréable et chaleureuse. Ces publics pris d’hystérie personnelle, ils sont juste nocifs.
La règle qui sanctionne une équipe par le biais des supporters a été mise en place. Elle est suffisante, elle est bien utilisée ?
Non. C’est le même problème qu’au foot : souvent, les arbitres ont peur d’appliquer la règle et les juges‐arbitres, encore plus. Ce qui fait que, dans bien des cas, ça n’a pas réellement d’incidence. Le fait de perdre un point ou, éventuellement, un jeu, ça calme, mais c’est trop peu pratiqué. Les juges‐arbitres se doivent d’être très solides dans leur tête et prêts à affronter 10 à 15 000 personnes. L’ITF nomme, aujourd’hui, des gens de qualité au fort caractère. Mais, dans ce type de pays – la Serbie, la Croatie, la Slovaquie… –, le public est d’un enthousiasme extraordinaire. Et, quand je parle d’enthousiasme, on se rapproche, en fait, très souvent de l’hostilité. On l’a vu récemment dans le football et dans d’autres sports, il y a des bagarres, des gens sont tabassés dans la rue…
Avec ce tableau que vous nous peignez, on se dit que ça va être compliqué…
Oui, la rencontre va être délicate et difficile pour deux raisons principales. La première : ils ont un joueur au‐dessus, Djokovic, et deux joueurs à peu près du même niveau que les nôtres, Tipsa et Troicki. Même si Monfils, de par ses résultats, peut être considéré comme meilleur que les deux serbes, sur un match… D’autant qu’ils vont jouer chez eux. Un gars comme Djoko peut gagner ses deux simples et, ça, c’est déjà une force importante. Mais, quand on a, en plus, un ou deux joueurs potentiellement très performants… Nous ne partons pas favoris en allant là‐bas. Il y a donc l’aspect sportif d’un côté ; et, d’un autre, la capacité des officiels à calmer les joueurs et le public.
Quel est le rôle du Capitaine dans ces situations ? On repense au Paraguay… Vous en avez des souvenirs du même type ?
Il y a eu des tas d’endroits où je n’étais pas très à l’aise. Au Paraguay, j’ai eu peur. Il y avait des gens à côté de nous avec des battes de baseball sur les genoux. Ce n’est pas très agréable. Mon copain, Hervé Duthu, s’était fait descendre au milieu du court, en rejoignant le vestiaire… Quand je dis « descendre », il avait été mis KO par un homme qui dansait autour de nous. Il s’était pris une droite, s’était écroulé et on avait passé plus de cinq minutes à le réanimer. Moi‐même, lors d’une rencontre en Hongrie, j’ai reçu un coup qui m’a sonné pendant un bon moment. En Tchécoslovaquie, aussi, on a eu à faire face à des situations très délicates. Pareil en URSS… C’était l’époque où les arbitres trichaient. Pour ce qui est des problèmes d’empoisonnement et autres, ça n’existe plus vraiment.
Oui, Guy parlait d’emmener un cuisinier…
Pourquoi pas ! Mais je n’y crois plus trop. Pour moi, ce sont des choses qui font, maintenant, un peu partie du passé. N’en reste pas moins qu’il faut être vigilant pour des quantités de petites choses. Par exemple, il faut faire attention à ce qu’il n’y ait pas d’ouvrier qui travaille durant les séances d’entraînement. Le bruit de travaux ne permet absolument pas de se concentrer et, ça, ce sont des choses encore possibles. Une vigilance est clairement nécessaire quant à la répartition des horaires d’entraînement. Ca compte dans la préparation d’une rencontre.
Pour en revenir au rôle du Capitaine, ce doit être assez difficile de coacher un joueur qui a l’impression d’être volé à chaque point…
Il y a plusieurs options : la première, c’est d’intervenir auprès de l’arbitre et du juge arbitre pour leur demander d’être plus vigilants. Il faut quand même que le joueur ait le sentiment que vous le défendez. A l’époque, j’ai été jusqu’à menacer – et, d’ailleurs, on l’a fait ! – de quitter définitivement le court. C’était un double, on était prêts à laisser la rencontre aux adversaires puisque, de toute façon, sportivement, il n’y avait pas moyen de gagner. Ce n’était pas la peine de s’énerver davantage. Et on les a laissé gagner, en abandonnant en cours de match.
C’était quand ?
C’était lors d’une rencontre de Coupe du Roi, en Hongrie ou en Tchécoslovaquie. J’ai demandé à mes joueurs de venir me rejoindre vers la chaise. Là, grand moment d’émoi. Le juge‐arbitre : « Non, vous n’allez pas faire ça ! » « Mais bien sûr qu’on va le faire ! C’est la dixième fois que vous nous volez des balles qui sont sur les lignes et inversement. Alors, aujourd’hui, c’est plus difficile à mettre en place, parce qu’il y a la télévision, il y a des intérêts en jeu, ceux de l’ITF… Mais n’en reste pas moins que les choses peuvent encore mal se passer dans certains cas. Il ne faut pas laisser l’injustice et la tricherie s’installer. Et il faut employer des moyens, à certains moments, pour que ça cesse. C’est le rôle du capitaine : expliquer à ses joueurs qu’il va y avoir une ambiance insupportable, que le public va être très bruyant… Le capitaine est là pour intervenir quand ça dépasse les bornes. C’est un rôle qui demande une vigilance permanente avant, pendant et après la rencontre, de manière à ce que tout soit cadré du mieux possible.
Par rapport à la finale de 1982 (à Grenoble), qui s’était déroulée dans des conditions un peu particulières, vous avez un regret ?
Bien sûr que j’ai des regrets ! Avec Arthur Ashe – alors Capitaine de l’équipe américaine –, on avait décidé de ne pas faire de pause au troisième set du match Yannick Noah‐John McEnroe. Mais, durant la rencontre, McEnroe, qui était mené, avait insisté auprès d’Arthur pour qu’on la fasse malgré tout. Celui‐ci avait cédé et on avait fait le quart d’heure de pause autorisé par le règlement. Tout le monde était sorti du court. Yannick était furieux, notamment contre moi : il ne comprenait pas pourquoi j’avais cédé, il pensait que je n’aurais pas dû laisser faire… Mais, je ne pouvais pas m’opposer à leur décision, puisque le règlement autorisait la suspension du match. Arthur était très gêné, McEnroe restait dans son coin… Ca avait rompu l’avantage qu’avait Yannick sur John. Je ne dis pas qu’il aurait gagné, sans ça. Mais ça a influé sur le sort de la rencontre et il a perdu le match. Peut‐être aurais‐je dû continuer à aligner Thierry Tulasne… Je l’avais fait jouer pratiquement toute l’année. Mais, cette fois‐ci, j’avais décidé de faire jouer Henri (Leconte). Il venait d’enregistrer deux résultats formidables, l’un à Nice, l’autre à Rotterdam, avec deux titres. C’est pour ça que je l’ai sélectionné. Je me disais qu’il aurait au moins les capacités d’affronter Mayer. Mais c’était sa première grande rencontre et il n’a pas joué son meilleur tennis. Enfin, voilà. On a souvent des regrets quand on perd, de toutes façons…
Quel regard avez‐vous sur le tennis, aujourd’hui ?
Un regard très positif et optimiste. On vit tout de même une période assez exceptionnelle, voire l’une des plus exceptionnelles, parce qu’on a affaire à deux champions d’exception. Fed et Rafa dominent le tennis depuis cinq ou six ans et ont des jeux complètement opposés. Ca donne aux jeunes et aux enseignants qui les suivent des raisons de penser que tous les tennis sont possibles, que tous les tennis peuvent gagner. Ce qui m’embêtait beaucoup dans le tennis, c’était cette espèce d’uniformité dans les types de jeu choisis, qui consistait à avoir un physique de plus en plus extraordinaire, à taper de plus en plus fort pour déborder l’adversaire. Ca ne me plaisait que moyennement, dans la mesure où un tennis plus physique et moins intelligent ou tactique nous amène forcément au dopage. Je craignais un peu ça, mais les choses sont en train de s’arranger, maintenant, on a des magnifiques confrontations Federer‐Nadal , avec, d’un côté, la finesse, l’esthétique, l’utilisation de tous les coups et, d’un autre, la puissance physique et le mental. Et, surtout, derrière, vous avez aussi des spécimens qui sont aptes à donner des envies particulières aux jeunes : Murray, qui joue un tennis un peu différent, Del Potro, également, Djokovic, Tsonga… Il y a une recrudescence de la variété dans les jeux des joueurs, l’uniformité est oubliée. Dans la mesure où on ne fait plus seulement parler les qualités physiques, on a de nouveau des joueurs qui pensent : regardez toutes les amorties, les revers coupés utilisés de manière constante, les montées à la volée – les statistiques le prouvent, même sur les plus petits matches, vous avez entre 15 et 20 montées au filet. Tout ça, ce sont des choses qui me ravissent !
Vous qui étiez candidat à la Présidence de la FFT, vous avez encore des missions ?
Non, je n’ai pas de missions particulières. Je suis de très, très près les affaires du tennis. J’ai donné l’impression d’être totalement éloigné de tout ça tant que Bîmes était là. D’ailleurs et de toute façon, il m’avait quasiment interdit l’accès à Roland Garros… Mais, là, Gachassin et son équipe font un boulot qui est tout à fait dans le sens que j’espérais. Gachassin est très enthousiaste, très proche du sport, très proche des joueurs et, ça, c’est formidable. On est bien plus loin du côté people, maintenant. Je suis tout à fait enthousiaste de ce qui se passe à la DTN et à la Fédération. On s’occupe bien du dossier Roland, on essaie de trouver la meilleure solution en se battant un peu contre tout le monde, il faut y arriver ! Donc, je suis très content de parler d’eux et d’oublier avec le plus grand plaisir les six ou sept dernières années que j’ai trouvées catastrophiques pour la Fédération, avant les élections.
Est‐ce que vous jouez encore au tennis ?
Absolument ! Deux fois par semaine !
Aujourd’hui, comment vous êtes considéré par le public ? Une vieille gloire, une référence…
Je pense que les gens n’ont pas oublié que j’ai entraîné l’équipe de France 12 ans durant, que j’ai été DTN, que j’étais consultant, non parce que c’était mon métier, mais parce que je trouvais intéressant de partager mon expérience avec les gens qui m’écoutait. Si Bîmes n’avait pas insisté auprès de France Télévision pour que je n’intervienne plus, il est probable que j’y serais toujours. C’est bien dommage et je serai tout à fait prêt à revenir désormais. C’est surtout la peur de l’ex-Président, qui pensait que j’allais faire une tribune contre lui à la télévision – ridicule ! – qui a fait que je n’interviens plus sur France Télé.
Quel est le pourcentage de victoire de la France en Serbie ?
Pour l’instant, même si les résultats de nos joueurs vont aller crescendo, je pense que l’on a 40% de chances de l’emporter. Ils ont un premier joueur qui est meilleur que le nôtre et leur deuxième peut aussi battre le nôtre et notre premier. On l’a vu, Tipsarevic a battu Andy Roddick dernièrement. Je les pense capable de battre n’importe, top 5 excepté. Nous, on est capables de faire de grandes choses, c’est sûr, mais on va jouer chez eux. Sur le plan sportif, actuellement, c’est du 55–45 pour eux, mais je leur accorde 5% de plus dans la mesure où ils jouent chez eux. »
Votre meilleur souvenir en Coupe Davis ? Le pire ?
La victoire contre les Américains à Lyon. Je n’étais plus sur la chaise, j’étais à l’antenne et j’ai trouvé ça exceptionnel. Le moins bon souvenir, en‐dehors des cinq‐six souvenirs désastreux dont j’ai parlé tout à l’heure : la défaite en demi‐finale, contre les Australiens, en Australie. Si on les avait battus, je pense qu’on aurait largement pu gagner la Coupe Davis. Alors que, face aux Américains en finale, on avait une chance sur deux, voire trois.
Publié le mercredi 1 décembre 2010 à 12:26