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Fazincani : « Je ne me suis jamais senti plus ou moins respecté dans un pays que dans un autre »

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Aujourd’hui head coach chez French Touch Academy, la nouvelle struc­ture basée au Cap d’Agde, Bastien Fazincani a bour­lingué aux quatre coins du globe. Raison de plus pour évoquer ce parcours, mais aussi défendre le « made in France ».

Bastien, sans avoir jamais posé défi­ni­ti­ve­ment tes valises à l’étranger, tu as tout de même beau­coup voyagé. Quel est le pays où tu aime­rais un jour exercer ton métier ?

J’ai surtout assez voyagé pour recon­naître qu’on est sacré­ment bien en France pour travailler, parti­cu­liè­re­ment dans le tennis. Il y a plein de choses inté­res­santes ailleurs, mais chaque fois j’arrive toujours au même constat à la fin : j’ai de la chance d’être un coach fran­çais ! Et d’ailleurs, si je viens de m’engager pour une dizaine d’années dans le projet French Touch Academy au Cap d’Agde, c’est juste­ment parce que je crois dur comme fer que le tennis a un bel avenir devant lui, en France encore plus qu’ailleurs. Mais pour répondre tout de même à ta ques­tion, si je devais citer deux pays dont la culture tennis m’a toujours inspiré, ce serait l’Espagne et les États‐Unis. 

Parmi tous les pays où tu as accom­pagné tes joueurs et joueuses, quel est celui où tu as senti que le coach fran­çais était le plus respecté ?

Je ne me suis jamais senti plus ou moins respecté dans un pays que dans un autre. En revanche, je ressens encore beau­coup le fait que le coach fran­çais est unique­ment consi­déré comme un bon tech­ni­cien et rien d’autre. On a du mal à faire tomber les clichés, tout comme le coach russe qui reste vu comme très dur, l’Espagnol très travailleur et répé­titif, l’Asiatique disci­pliné, et j’en passe…

Tu as une grosse expé­rience en Inde notam­ment, crois‐tu que ce soit une belle piste pour un DE fran­çais qui veut tenter une aventure ?

L’Inde est un pays avec une culture tennis­tique bien plus impor­tante qu’il n’y paraît, et les Indiens sont très deman­deurs pour apprendre des autres. Il y a d’immenses et très beaux clubs de tennis ; en revanche, leur déve­lop­pe­ment me paraît assez compliqué, d’abord par manque de moyens finan­ciers, mais aussi en raison de possi­bi­lités de forma­tion et d’évolution très limi­tées pour les entraî­neurs. L’autre élément ingé­rable quand tu es sportif en Inde, c’est la pollu­tion. À Delhi, je me souviens certains jours ne pas voir à dix mètres devant moi.

Il y a quelques années, tu nous avais confié être impres­sionné par la Suède…

Comparativement à l’Inde et compte tenu de la culture et des menta­lités, bien plus proches des nôtres, l’adaptation y serait plus aisée. Au niveau profes­sionnel, je pense que nous avons énor­mé­ment à apprendre des pays nordiques par leur appli­ca­tion à la tâche et leur éduca­tion posi­tive et respon­sable. Ils sont égale­ment très ouverts d’esprit et toujours curieux de ce qu’il se passe ailleurs, ce qui en fait un pays extrê­me­ment riche spor­ti­ve­ment, mais avant tout humai­ne­ment. Moi qui suis devenu très proche du mythique club KLTK Tennis à Stockholm, je peux vous dire que travailler avec les Suédois, c’est vrai­ment une superbe expérience.

Nous sommes bien obligés de parler des pays de l’Est où, là aussi, tu as une forte expérience…

J’ai habité six mois en Ukraine lorsque j’entraînais Dayana Yastremska, chez elle à Odessa. Les Ukrainiens ont changé ma vision du tennis à tout jamais, cela restera un tour­nant décisif dans ma carrière. Il y a telle­ment à prendre et à apprendre de leur capa­cité à faire face à l’adversité, ils sont la rési­lience à l’état pur. Une anec­dote sympa, à l’époque où j’entraînais Dayana et qu’elle explo­sait chez les juniors, Elina Svitolina était en train d’éclore au plus haut niveau et était entraînée par Sébastien Mattieu, Français lui aussi. Seb et moi travail­lions dans la même struc­ture à ce moment‐là, et d’un seul coup on a assisté à une vague de joueuses de l’Est souhai­tant s’entraîner en France, à l’ISP Academy. Pour eux, les résul­tats de leurs deux jeunes espoirs étaient forcé­ment liés au savoir‐faire fran­çais. Ils étaient allés jusqu’à me proposer le bras­sard de capi­taine de l’équipe natio­nale des moins de 16 ans (rires) !

Aujourd’hui head coach de la nouvelle French Touch Academy basée au Cap d’Agde, c’est quoi pour toi la « French Touch » dans le tennis ?

Bonne ques­tion, il y a tout un concept derrière ce nom. De mon vécu, la « French Touch » vue de l’étranger c’est beau­coup d’application, de souci du détail, de métho­do­logie. Et c’est très repré­sen­tatif de l’état d’esprit que l’on cherche à insuf­fler dans cette nouvelle struc­ture. On joue plei­ne­ment sur les qualités que les étran­gers voient en nous et pour lesquelles ils viennent s’entraîner en France. Un coaching tech­nique certes, mais aussi réfléchi avec beau­coup d’écoute et d’adaptation. Si je devais résumer la French Touch en deux mots : tech­nique et psychologie.

Est‐ce que tu reven­diques dans ton travail un vrai savoir‐faire « made in France » ?

Certainement, mais pas seule­ment. Je me suis construit ici et là, en France bien sûr, mais égale­ment partout ailleurs. Jusqu’à main­te­nant, j’ai travaillé avec trois fois plus d’athlètes étran­gers que fran­çais. Chaque pays, chaque culture, chaque famille, chaque joueur(se) est une expé­rience à part entière venue s’ajouter au bagage tech­nique et péda­go­gique reçu pendant ma forma­tion fédé­rale. Si je devais trouver un point faible au « made in France » pur et dur, ce serait peut‐être de ne pas s’inspirer assez de ce qu’il se passe ailleurs, de ne pas assez voyager ou pas assez loin. Peut‐être parce qu’en France, jusqu’à 1617 ans, on peut conti­nuer à progresser sans sortir du terri­toire. On a suffi­sam­ment de clubs pour nous y aider, de joueurs pour s’entraîner, de bons entraî­neurs pour nous former et de tour­nois pour matcher à un niveau extrê­me­ment compé­titif. Mais un Ukrainien, un Hongrois, un Brésilien, un Norvégien ou un Sud‐Africain par exemple, lui à 1112 ans, il doit déjà prendre l’avion chaque semaine s’il veut pouvoir se donner une chance d’évoluer. Ces voyages déve­loppent très tôt leur ouver­ture d’esprit, susci­tant intérêt et compré­hen­sion envers les autres cultures qui deviennent source d’inspiration. Voyager et être capable de s’approprier des choses nouvelles et diffé­rentes, c’est cela qui peut rendre notre propre culture encore plus riche. Pour toutes ces raisons, mon « made in France » ne sera pas le même que celui du voisin, mais je pense que c’est tant mieux.