AccueilLe blog de la rédac'Coup de gueule : Djokovic, faute, pschiiit... mais le soleil revient

Coup de gueule : Djokovic, faute, pschiiit… mais le soleil revient

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Faute. Deuxième service. Novak Djokovic prend quelques milli­se­condes pour se recon­cen­trer. Il fait rebondir la balle. Une fois, deux fois, trois fois… huit fois… D’un seul mouve­ment, il la lance. Boucle. Frappe… Faute. Stupeur dans le public. Djokovic baisse la tête, dode­line, bras ballants, regard rivé au sol. Il clôt la deuxième partie d’une rencontre impro­bable. Il offre la victoire à son adver­saire. Il rate le Grand Chelem. 

« Trop espérer, c’est se préparer des décep­tions. » Celle‐ci était pré‐programmée, car elles le sont presque toujours lors­qu’on affronte Rafael Nadal sur terre battue. Non que l’on souhaite la défaite du Majorquin, non, bien sûr. Mais l’on pouvait espérer un scénario original au vu des péri­pé­ties précé­dentes. Un scénario qui nous tienne en haleine, quel que soit le vain­queur. Un scénario qui nous mène loin dans le jeu et l’en­ga­ge­ment, un scénario qui nous étonne, un scénario qui nous en apprenne un peu plus sur l’homme et cette folie qui le pousse à œuvrer dans un espace régit complè­te­ment arti­fi­ciel – un court de tennis, une raquette, une balle. 

Il y a quelques jours, je regar­dais un film – atten­tion, je dis bien « regarder » et non « consommer » de la fiction illus­trée, une démarche passive beau­coup moins impli­quante. Certains se diront : « Ah, revoilà le dada de RCV. Il y a quelques mois, il nous parlait de Venus Williams et de « Mort à Venise » en des élucu­bra­tions illé­gi­times et incom­pré­hen­sibles. Aujourd’hui, il en remet une couche, il nous gonfle, c’en est un autre. » Et pas n’im­porte quel autre. « Les Galettes de Pont‐Aven ». De vous à moi : prenez le temps d’un petit vision­nage. Un manière de sortir d’un quoti­dien ciné­ma­to­gra­phique cottilardo‐canetisé simple­ment bête, simple­ment médiocre, je le dis comme je le pense. Bref, je ne serai pas long. Henri Serin, commer­cial pour une boîte fabri­quant des para­pluies, loge chez un curé rencontré sur la route. La sœur de ce dernier zyeute discrè­te­ment – plus ou moins – l’ami Henri lors­qu’il se change dans la chambre qui lui a été attri­buée. Voyeurisme inat­tendu d’une vieille fille aux parois décré­pies. Serin, que l’on cari­ca­tu­re­rait en un queu­tard fini, obsédé par ces Dames et leurs formes – surtout celles de leur posté­rieur – surprend la sœur et sa concu­pis­cence. C’est ce moment. Ce moment qui m’in­té­resse. Ce moment que choisit mon épouse, suivant, jusqu’a­lors d’un œil distrait et occupé les lestes péri­pé­ties de Monsieur para­pluies et baleines, pour lâcher au passage sa sentence défi­ni­tive et vision­naire : « Il va se la taper. » Pardonnez l’ora­lité ou la gros­siè­reté, ces propos n’au­raient pas dû sortir de notre inti­mité. En atten­dant… Non. Mille fois non. Henri Serin laisse tran­quille la sœur du curé et la sœur du curé va se reclure dans sa chambre, loin d’Henri Serin. Il ne se l’est pas « tapée ».

Pourquoi cette digres­sion ? La beauté est dans l’éton­ne­ment. Le scénario n’était pas prévi­sible. Nous avons arpenté le chemin menant à son issue les yeux bandés. Le lende­main, Serin s’en est allé – en tout bien, tout honneur -, douchant notre imagi­na­tion et l’oracle de Ma’ame RCV. Mais Novak Djokovic, lui, s’est incliné face à Rafael Nadal. Il a surtout laissé un monu­ment clai­re­ment inachevé. Un monu­ment, un Grand Chelem, qui l’au­rait hissé parmi les plus grands de ce monde – celui du tennis, bien sûr, n’exa­gé­rons rien. En ce lundi 11 juin 2012, il n’a disputé que neuf jeux à son adver­saire. Il l’avait laissé, la veille, trem­blant et désta­bi­lisé, seule­ment mené 6–4 6–3 2–6 1–2, avec, en prime, un ascen­dant physique et psycho­lo­gique. Mais fi. La grisaille est présente ce lundi. Sous un crachin persis­tant, Nadal ne fait que renvoyer et laisse à Djokovic les initia­tives. Et les erreurs. C’est, enfin, dans un pied de nez écœu­rant que se conclut la rencontre : Novak commet la double faute ; dans le même temps, le soleil appa­raît et nous caresse de doigts dont nous avions oublié la douceur. 

Certains verront en cette double faute une conclu­sion suffi­sam­ment éton­nante pour ne pas mériter ma critique. Mais elle incarne, bien au contraire, l’avor­te­ment du jeu, ce jeu qui n’a pas commencé, ce jeu déjà terminé. Et reclut, encore une fois, Roland Garros au rôle de parent pauvre des tour­nois du Grand Chelem, du spec­tacle, du théâtre et du sang – malgré quelques pépites. Heureusement – et c’est sa conclu­sion -, le soleil était là, dans sa ronde chaleur, dissi­pant les cras­seux relents de notre décep­tion, éloi­gnant nos yeux de l’ocre pour les faire embrasser des promesses d’im­prévus, mais bouillants, lendemains.