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WLT rencontre… Patrice Dominguez

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Toujours dans le cadre du livre « Grand Chelem, mon amour », Welovetennis est allé inter­roger Patrice Dominguez et son regard toujours inté­res­sant sur l’his­toire du tennis. Autant vous dire que l’ami Patrice ne manque pas de super­la­tifs pour parler de cette décennie de tennis, de 2001 à 2011…

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Commençons par le commen­ce­ment. Est‐ce que vous vous souvenez du match entre Pete Sampras et Roger Federer, en 2001 ? A l’époque, on sentait que Federer allait devenir le cham­pion qu’on connaît ?

Je ne m’en souviens pas préci­sé­ment. Mais je m’en souviens comme d’ « un trem­ble­ment de gazon ». Parce que battre Pete Sampras, à Wimbledon, c’était quand même énorme. A l’époque, on s’est dit que Federer avait peut‐être tué le père. Et ça s’est avéré. Cette victoire sur Sampras, c’était un coup de tonnerre. Pourtant, Pete avait déjà perdu à Wimbledon, aupa­ra­vant, contre Krajicek. Mais ce n’était pas pareil. On ne voyait pas en Richard Krajicek le futur dauphin du Roi. Moi, j’ai toujours dit que Roger était le fils de Sampras. Certes, il a un moins bon service que Pete, mais il est devenu plus fort, notam­ment grâce à un meilleur revers et à son niveau de jeu général.

Quels sont les matches qui vont ont vrai­ment marqué sur la décennie ?

Je vais essayer d’être chro­no­lo­gique. Je pense que la victoire de la France en Coupe Davis en 2001 à Melbourne a été un très grand moment. Pour moi, ça a été un énorme match. C’est un grand, grand moment d’émotion. Tout de suite après me vient à l’esprit ce match de Coupe Davis à Paris, contre les Russes en finale où on croit qu’on va gagner à nouveau la Coupe Davis un an après. Et fina­le­ment ça ne va pas marcher le dimanche. Parce que cette défaite de Paul‐Henri Mathieu contre Youzhny, même si c’est une défaite, c’est quand même un truc énorme. Peut être que peu de gens vont les citer ces matches, mais person­nel­le­ment, ils m’ont beau­coup marqué au début de la décennie. Ce sont des évène­ments qu’on n’oublie pas, même s’ils sont très douloureux.

Et plus parti­cu­liè­re­ment en Grand Chelem ?

Sur les trois dernières années de la décennie, il y a eu beau­coup d’immenses matches. Cette ère a vu le tennis masculin rede­venir un vrai duel, avec la prise de pouvoir de Federer, dès 2002, et Nadal, qui, un peu plus tard, l’a marqué de près. Ca a donné des parties excep­tion­nelles ! La finale de Wimbledon 2008 est impor­tante, la demi‐finale Federer‐Djokovic, à Roland Garros, cette année, a aussi été un sommet… Lorsque Söderling a battu Nadal, en 2009, c’était énorme. Ce sont des rencontres qui marquent : la qualité d’un joueur, ce jour‐là, sa capa­cité à débou­lonner un immense cham­pion, c’est fabu­leux. Il y a eu égale­ment El Aynaoui‐Roddick, en Australie. Un très beau match. Et puis, Isner‐Mahut, qui reste un morceau d’anthologie.

Et la finale de l’US Open de cette année, qu’en avez‐vous pensé ?

Un immense tennis. Mieux, le tennis de demain. Pour moi, c’était énorme. De la Wii sous nos yeux. Colossal. Par moments, il y a eu des échanges… Il y a 20 ou 30 ans, jamais je n’aurais imaginé qu’on puisse jouer à cette allure avec une telle préci­sion. C’était fabu­leux. D’une manière géné­rale, cette année 2011 a été fabu­leuse. On a, aujourd’hui, trois cham­pions hors normes.

Ce sont ces trois‐là qui ont vrai­ment marqué la décennie selon vous ?

D’abord, la décennie, et jusqu’en 2010, ce sont les années Federer. 2001–2010, ce sont 10 saisons avec un type qui domine à un point tel qu’il reste des semaines et des semaines à la première place mondiale. Il était encore plus domi­na­teur que ne l’était Sampras en son temps. Il a gagné sur toutes les surfaces, il a joué d’une façon excep­tion­nelle pendant ces dix années. Même si ce n’est peut‐être pas le plus grand palmarès de l’histoire, parce qu’il n’a pas gagné la Coupe Davis, ni les Jeux Olympiques, il restera comme la réfé­rence de ces années‐là. 

Et Nadal, dans tout ça ?

Nadal, pour moi, c’est le Borg des années 2000. La domi­na­tion excep­tion­nelle et sans partage sur terre battue. Mais il n’a pas atteint le niveau d’inaccessibilité de Federer. Parce que Federer, dans ses grandes années, il avait tout pour lui : la vitesse, l’élégance, le timing. Il était intou­chable et inimi­table. Inaccessible. Pour moi, il n’y a pas d’autres mots. 

Djokovic ?…

Novak Djokovic est encore en ascen­sion, voire en construc­tion, aujourd’hui. Il a vécu une saison 2011 excep­tion­nelle : s’il n’y avait pas eu des condi­tions parti­cu­lières, qui l’ont empêché de jouer à son maximum à Roland Garros, il aurait proba­ble­ment été le premier, depuis Rod Laver, à réaliser le Grand Chelem. Pour moi, le fait de ne pas jouer son match contre Fognini (en quarts de finale) et de se retrouver face à Federer, sans avoir joué depuis plusieurs jours, je pense que ça l’a contracté plus qu’autre chose.

Vous pensez qu’il serait allé au bout, dans des condi­tions normales ?

Je pense que ça l’a beau­coup péna­lisé, de ne pas jouer son quart de finale. Vraiment. Maintenant, à propos de Djokovic, il faut attendre un peu. Il est numéro un, cette année, mais il va falloir voir s’il confirme l’an prochain.

Quels autres joueurs vous ont marqué, en‐dehors de ce trio infernal ?

Del Potro est arrivé au sommet, mais n’a pas confirmé. Lleyton Hewitt a très bien joué pendant un moment, mais ce n’est pas un numéro un de la dimen­sion de Sampras, Federer ou Nadal. Il y a Roddick, aussi, qui a gagné l’US Open et a été numéro un mondial. Un joueur géné­reux, mais qui ne marquera pas l’histoire comme les autres. Il faut dire que tous ces joueurs n’ont pas eu de bol de tomber sur la dualité Federer‐Nadal… Reste Murray, qui, s’il n’a pas encore gagné comme les autres, est au niveau. Il est plus fort que ceux qui viennent derrière, à mon sens. Ca complique encore plus la tâche de ceux qui viennent derrière…


Concernant le tennis fran­çais, est‐ce que vous consi­dérez que la décennie écoulée a été une belle décennie ?

Moi, je retiens en 2001 ce qu’a fait Nicolas Escudé, parce qu’il a gagné tous ses simples de Coupe Davis. Depuis Henri Cochet, personne ne l’avait fait et je pense que c’est excep­tionnel de faire ça. On le voit bien aujourd’hui. Et ce record n’est pas près d’être égalé. Parce que déjà, jouer les huit simples, c’est rare, et les gagner tous en sauvant en plus une balle de match contre Bastl à Neuchâtel face à la Suisse, c’est quand même énorme. Après, je pense que Jo‐Wilfried Tsonga est un leader plus charis­ma­tique que certains qui l’avaient précédé comme… Je ne vais pas citer de noms pour ne pas être méchant mais… Des Grosjean ou des gens comme ça, s’ils ont aussi fait des exploits, gagné Bercy, finale du Masters, demi‐finale à Roland ou Wim’… C’est un beau palmarès. Mais Jo‐Wilfried Tsonga est un joueur plus charis­ma­tique. Mais il manque une consé­cra­tion. Clairement. 

On a Djokovic et Nadal qui sont les deux meilleurs joueurs au clas­se­ment. Ce sont des joueurs très physiques, qui se déplacent très bien et contrent beau­coup. Est‐ce que c’est ça, aujourd’hui, le modèle du joueur moderne ?

On a eu la confir­ma­tion dans cette décennie que le tennis avait changé de forme, indis­cu­ta­ble­ment. L’attaquant clas­sique que Federer incar­nait au début a disparu. Le serveur‐volleyeur, il a rangé ses raquettes ! Il n’y en a plus sur le circuit. A partir de là, il y a eu beau­coup de nouveaux joueurs qui sont arrivés avec des armes diffé­rentes. Aujourd’hui, c’est quand même le règne de l’attaquant de fond de court, extrê­me­ment costaud physi­que­ment. Oui, Djokovic est une sorte de fils à la fois de Federer et de Nadal. C’est un gars éminem­ment costaud, très très complet. Il a gommé ses faiblesses, avec un revers à deux mains fantas­tiques, un coup droit qu’il a énor­mé­ment amélioré. Il a énor­mé­ment travaillé et c’est vrai­ment devenu un athlète du tennis, c’est un robot. Même plus qu’un robot fina­le­ment. Parce qu’au début on disait, voilà, c’est un robot mais il sait faire des choses en plus ! Parce qu’en finale de l’US Open, il s’est retrouvé à la volée ! Et à la volée, il en a fait des choses. Et des belles choses. Donc je trouve qu’on est entré dans une autre ère dans le tennis masculin comme dans le tennis féminin. Parce que dans le tennis féminin, par contre, la volée a complè­te­ment disparu de la circu­la­tion. Le tennis féminin est devenu un tennis extrê­me­ment stéréo­typé, ce que tend à devenir le tennis masculin, mais il y a encore, fort heureu­se­ment, des parti­cu­la­rités chez certains joueurs qui nous font échapper à cette tornade du jeu stéréo­typé qu’on voit chez les femmes. Parce que chez les femmes, c’est ahuris­sant aujourd’hui.

Du côté féminin, ce n’est pas la plus grande décennie qu’on ait connue…

Non. Ca démar­rait pour­tant très fort avec les sœurs Williams et les Belges. On avait de très beaux duels. Parce que c’est toujours pareil, le tennis c’est un duel. Et les condi­tions d’un beau duel, c’est d’avoir deux très fortes person­na­lités. Et il faut les trouver ! Là, on les a perdues avec les Williams qui sont deve­nues des inter­mit­tentes du spec­tacle et, ce, progres­si­ve­ment. Ca nous a gâché la deuxième partie de la décennie. Mais au départ, ce sont des cham­pionnes qui sont de la grande lignée, attention. 

Est‐ce que des joueuses du circuit ont aujourd’hui le profil pour devenir de fortes person­na­lités du tennis ?

Il y a Kvitova. On va voir, elle est très jeune, elle démarre, elle a un vrai beau talent. Il faut main­te­nant voir si elle capable de devenir une grande cham­pionne. Il faut qu’elle en gagne des tournois !

Et du côté masculin, est‐ce qu’on a vrai­ment vécu la plus belle décennie, comparée à celles des Borg, McEnroe, Becker etc… ?

On est revenu à une forme d’âge d’or oui, par le biais du duel. Comme on avait vécu avec certaines grandes oppo­si­tions. Et il faut recon­naitre que ces oppo­si­tions avec Federer, Nadal et Djokovic main­te­nant, et bien moi je préfère ces duels là à ceux qu’incarnaient des Wilander‐ Lendl, des Roddick‐Hewitt. On est quand même aujourd’hui à un niveau au‐dessus. Un peu comme dans les années 1970 avec McEnroe, Connors, Borg, on a retrouvé aujourd’hui un trio magique. Et le spec­tacle est tout à fait fabu­leux. Parce que là on parle des GC mais il y a eu aussi des matches en Master 1000 avec Nadal, des matches vrai­ment fabu­leux, à Madrid, en finale à Rome… Il y a eu des combats homé­rique qui ont fait grandir ce sport et ont ouvert des pers­pec­tives. Je pense qu’ils ont ouvert des pers­pec­tives dans la nouvelle forme du jeu, càd un jeu plus physique, plus rapide, avec aussi une notion du spec­tacle. Ils montrent beau­coup. On cade­nasse ses émotions à l’intérieur et on montre à l’extérieur parce qu’on veut montrer qu’on est un gagnant, qu’on est un guer­rier. Je pense que les choses ont changé dans le sport grâce à ces cham­pions. Ce sont les cham­pions qui font évoluer le jeu et indis­cu­ta­ble­ment, ceux‐ci l’ont fait évoluer. Et dans le bon sens. On a d’ailleurs de la chance. Parce qu’on a des joueurs comme Nadal et Federer qui sont des numéros 1 mondiaux que tous les sports nous envient. D’ailleurs, j’ai été frappé de voir aux JO de Pékin lorsque j’y suis allé, la popu­la­rité de spor­tifs pure­ment profes­sion­nels. Quand on dit que le tennis n’a pas sa place aux JO, je vous dis que ceux à qui on deman­dait le plus d’autographes à Pékin, c’était Usain Bolt, Federer et Nadal. Il n’y avait pas photo. Et ça c’est fabu­leux ! Ces cham­pions ont contribué à la vulga­ri­sa­tion, à la démo­cra­ti­sa­tion du tennis par le respect qu’ils impo­saient aux gens de part la qualité de leurs jeux, très diffé­rents l’un de l’autre, mais aussi par les très, très belles valeurs qu’ils portent, notam­ment de fair play. Et ça, je trouve que c’est formidable. 

Est‐ce que vous êtes confiant pour l’avenir du tennis. Les surfaces se ralen­tissent, on voit l’avènement de joueurs dont le physique est presque la prin­ci­pale qualité, est‐ce que c’est quelque chose qui vous plait, ou est‐ce que c’est pour vous, c’est une évolu­tion qui va au détri­ment du beau jeu ?

Moi je suis toujours confiant dans l’évolution du jeu par les cham­pions ou les cham­pionnes parce que je pense que chaque cham­pion ou cham­pionne a son génie. Un génie qui peut permettre de faire évoluer un sport. Là où je suis un petit peu plus scep­tique, c’est sur les condi­tions de l’exercice du sport. C’est‐à‐dire que je pense que les grands enjeux seront des règles plus strictes en matière de program­ma­tion, en matière de calen­drier parce que dans un sport indi­vi­duel où tout repose sur la perfor­mance quoti­dienne du joueur, il faut impé­ra­ti­ve­ment que l’intégrité physique soit protégée. Donc on doit vrai­ment se pencher là‐dessus. Ce n’est pas un vœu pieux, c’est une néces­sité. Parce que l’argent encou­rage à jouer plus, c’est logique. Mais ce n’est pas l’argent qui doit tout dicter. On est obligé de penser pour les joueurs. Parce que eux, ils pensent à travers leurs agents, leurs porte­feuilles sur la période d’une carrière qui est forcé­ment très rapide, très brève. Ils veulent accu­muler. Mais voilà, le véri­table enjeu il est là, dans le calen­drier. Alors ce calen­drier sera rétréci à partir de l’année prochaine. C’est je crois l’avenir du jeu qui peut être en péril si, au niveau du calen­drier, on ne change pas les choses.

Changer les choses, c’est réduire le nombre de tour­nois ou carré­ment imposer un nombre limité de tour­nois aux joueurs ?

Je pense qu’on pour­rait limiter effec­ti­ve­ment le nombre de tour­nois. Regardez ce qui se passe dans certains sports, comme les sports de combats, où on limite les parti­ci­pa­tions. Je crois qu’il faudra aller vers cela parce que la santé, c’est essen­tiel. Et il faudra que dans le calen­drier rétréci, qui va être mis en place à partir de l’année prochaine, les joueurs ne puissent pas jouer non plus les semaines où ils s’arrêtent en faisant par exemple des exhi­bi­tions, bref des choses contraires à la néces­sité qu’il y a de se reposer. Parce qu’on a bien vu avec Djokovic, qui est un athlète fantas­tique, le fait qu’il ait joué énor­mé­ment en début d’année, et bien fina­le­ment, même lui a fini par péter à partir du mois d’août. A l’US Open, c’était déjà limite. Voilà, ça, c’est très impor­tant. Enfin, je crois aussi que du côté des éduca­teurs, il va falloir faire atten­tion à former des joueurs et des joueuses avec des types de jeu en évolu­tion et ne pas se contenter de faire des clones des meilleurs actuels. Avec la tech­nique, on pourra faire évoluer le jeu à nouveau et le jeu a besoin d’évoluer sans cesse. On est dans un sport indi­vi­duel et encore une fois, seuls les grands cham­pions ou les grandes cham­pionnes peuvent le faire évoluer. Il ne faut donc pas que les éduca­teurs s’enferment dans les stéréotypes.