Quoi de mieux pour finir l’année qu’un coup de gueule bien gratuit ? Une attaque de front sur l’image que renvoie le tennis à travers l’imaginaire collectif. S’agit‐il d’un sport où règnent en maîtres et sans partage, le respect de l’autre, le fair‐play, l’amitié entre les peuples et autres bons sentiments dégoulinants ? Ou bien d’un monde teinté d’une hypocrisie non feinte se fondant dans l’acceptation générale ?
Au rythme des années qui avancent, des interviews d’après‐match qui s’enchaînent et des sponsors qui s’impliquent de plus en plus, une image bien précise du tennis s’impose aux yeux de tous. C’est un sport de gentils. Il suffit de s’attarder sur le modèle du genre, l’ambassadeur même de la raquette à travers le monde, j’ai nommé l’illustre, le titanesque Roger Federer. Un personnage qui, par delà ses talents absolument indéniables et son aisance avec la balle jaune, fait aussi bien l’unanimité par le biais de l’image qu’il véhicule. Beau gosse, bien mis, classe, bien éduqué, droit dans ses bottes, fidèle, père de famille exemplaire. Mais ce mec est l’incarnation de l’homme parfait ! Il est presque impossible de faire le poids. Est‐ce le modèle sur lequel devraient se calquer absolument tous les tennismen, pour ne pas dire les sportifs ? Pour l’instant la tendance va dans ce sens. Tous en costard pour le Masters, les gars ! On ne pratique pas un sport de pauvres et de mal fagotés, que diantre ! Gommons tout symbole qui pourrait encore nous rattacher aux bas‐fonds desquels le tennis a pu nous tirer. Bon, à la limite, créons une fondation, histoire de montrer qu’on met les mains dans le cambouis. Et passons encore un peu plus pour des gens bien ! Comme ça, c’est tout bénef’.
Allez, je vous le concède, dans le monde du sport en général, on tend vers une uniformisation du style Bisounours. Peut‐être le football réussit‐il encore à y échapper grâce (ou à cause, selon les sensibilités) à ses supporters ultra‐violents, ses acteurs sans éducation chez qui on perçoit encore ce lien avec les couches sociales défavorisées dont ils sont issus. Ce côté « mauvais élève » du sport en général, toujours descendu par rapport à la beauté des valeurs du rugby, du handball ou de l’esprit olympique. Vous me direz qu’il y en a quand même quelques‐uns, des tennismen au sale caractère et irrespectueux. On pense à Andy Murray d’abord. Agréablement surnommé Grumpy ou Angry. Mais ils sont peu, les fans français à l’apprécier. John McEnroe, à l’époque, l’anti Bjorn Borg absolu. Sans parler de la terrible paire tchèque composée de Tomas Berdych et Radek Stepanek. Là on atteint le summum en termes de personnalités haïes, sifflées et huées partout où elles passent (sauf dans leur pays, peut‐être). Non, vraiment dans le tennis, on n’aime pas ça.
Même Rafa, chez qui résidaient encore cette fougue et cette insouciance de jeunesse, est devenu lisse. Il fait des bisous à ses fans sur Facebook et félicite à peu près tout le monde sur Twitter. Non mais sérieusement, ils ne sont quand même pas tous potes dans le tennis ? Il n’y a qu’à les écouter en interview d’après‐match ! Novak Djokovic peut mettre un 6–0 6–1 6–0 maîtrisé de bout en bout à Victor Hanescu ou autre inconnu, qu’il parlera encore de « match difficile », remporté face à un « adversaire solide » qui lui a causé, allez vous le savez tous… « beaucoup de problèmes » ! Bingo ! Un schéma répété encore et encore à travers l’un des exercices les plus formatés de l’univers. Vous savez, ça me fait penser à ce sketch hilarant des Inconnus parodiant l’émission Stade 2. Bernard Campan est alors grimé en caricature du grand Borg, félicitant copieusement Didier Bourdon, tennisman français qu’il vient d’atomiser en trois manches sèches. On est loin de quelque Maradona affirmant, après avoir gagné le match facilement, que la victoire n’est due qu’au niveau infiniment supérieur de son équipe (et bien souvent de lui‐même) ! Sacré carafon. Pas d’humilité. Et alors ? Honnête. Mais c’est vrai que ce genre d’attitude peut empêcher des contrats pub juteux. Là où Roger Federer est resté le porte‐étendard suprême de Gillette, Thierry Henry le tricheur et Tiger Woods, le coureur de jupons, y ont laissé quelques deniers.
Mais modérons tout cela. Il est compliqué de rester honnête quand la pression médiatique, couplée à la nécessité d’une image et d’un parcours sans fausses notes s’imposent d’un coup dans votre quotidien. Les tennismen gagnent des millions, mais sacrifient aussi beaucoup de ce qu’ils sont pour rentrer dans le moule qu’on leur impose. Pour pratiquer ce qu’ils aiment. J’entends déjà de loin les quelques discours réactionnaires.« Je veux bien être payé 50 millions par an pour renier ce que je suis et taper dans la balle constamment ». Mais un footballeur espagnol a démontré qu’il était aussi possible de faire passer ses propres convictions au détriment de sa passion. Javi Poves, 24 ans, a préféré reprendre ses études d’histoire et soutenir les « Indignés » dans son pays plutôt que de poursuivre une carrière à plusieurs milliers d’euros par mois dans ce qu’il décrit comme un « monde de corruption ».
Certains athlètes auraient‐ils les mêmes aspirations dans le tennis ?
Publié le mercredi 26 décembre 2012 à 12:00