Ils sont de retour. Les trois frères.
Oui, j’ai quelques semaines de retard. Mais le retard est l’apanage des hommes qui ne précipitent pas la réflexion, à hue, à dia, dans le mur, où vous voulez. Je sais ce que vous allez me dire, pour certains poliment, pour d’autres en injures. Que le film est sorti et que c’est un navet. Que Didier Bourdon, gras comme un loukoum, a le faciès beaucoup moins rigolard ainsi perdu dans des plis signés « Jabba the Hutt » ; que Bernard Campan est devenu plus plat que la Belgique après le plat de platitudes terribles servi dans le Coeur des Hommes ; que Pascal Légitimus a certainement trop fait « goulou goulou » mais n’a plus ses talents de marabout du rire. Et que nous ne sommes ici, ni pour rappeler les grandes heures du nanar, ni pour faire s’agiter dans leurs tombes la clique des réalisateurs thaïlandais des années 80, grands défenseurs du genre.
C’est vous qui me le dites. Personnellement, je n’ai pas vu leur film, portant un regard toujours très circonspect sur la résurrection des vieilles recettes passées et des héros jusqu’ici enterrés. Savoir mettre un point, un point final, nous en avions déjà parlé en janvier, c’est la force d’individus supérieurs – point d’égalité bien pensante en ce monde de proies et prédateurs.
Novak Djokovic, en matière de tennis, est indéniablement supérieur. Ce point final, il l’a mis à chacune de ses 10 dernières rencontres. Face à Marin Cilic, à John Isner, à Roger Federer… et à Andy Murray, hier soir, en Floride. On le disait pourtant en ballotage défavorable depuis le début de saison. Une déception à l’Open d’Australie, une défaite prématurée à Dubaï et une association avec Boris Becker qui prête à discussion. A tel point que l’inénarrable Ion Tiriac s’était fendu, il y a quelques semaines, de cette remarque sans concessions : « Je ne sais pas si Boris est un bon coach, je ne sais même pas s’il est un coach ou juste quelqu’un qui essaie d’être entraîneur. Si le travail de Becker est d’améliorer la technique et la frappe de balle de Djokovic, alors il est la mauvaise personne. » L’interrogation semblait légitime car Nole montrait un niveau de jeu de moins en moins convaincant. Mais cette race de champions, dans la difficulté, trouve souvent des ressources étonnantes. Le Serbe l’expliquait encore hier soir : « Mon titre à Indian Wells a été très particulier d’un point de vue mental, car j’ai bataillé tout du long. Je n’ai pas très bien joué, mais, au final, j’ai réussi à remporter le trophée. Sans jouer mon meilleur tennis. Cela m’a donné beaucoup de confiance. » Résultat : ce garçon aux joues creusées et aux yeux tourmentés (détendons l’atmosphère…) est en demi‐finale à Miami et en passe de réussir un doublé historique : remporter à deux reprises le duo de Masters 1000 du printemps américain. Seul Roger Federer y est parvenu jusqu’à maintenant, en 2005 et 2006. Son tableau peut lui laisser quelques espoirs, puisqu’il affrontera Kei Nishikori, valeureux mais forcément éreinté, pour une place en finale.
« Pour être champion, vous devez croire en vous‐même quand personne d’autre ne le fait. »
Sugar Ray Robinson
Un doublé historique qui devra peut‐être supporter une confrontation face à un autre de ces individus supérieurs. Rafael Nadal. Lui aussi a collé le point final tant à Lleyton Hewitt, qu’à Denis Istomin ou Fabio Fognini, à qui il n’a concédé qu’un total de neuf jeux. Lui aussi semble avoir retrouvé toute sa verve tennistique, lors même qu’il semblait en souffrance ces semaines passées. Souffrance physique comme en finale de l’Open d’Australie… Souffrance dans le jeu, comme lors de sa sortie californienne, il y a quinze jours. Peu à l’aise, il se plaignait beaucoup, comme si le niveau affiché ne correspondait plus du tout à ses immenses exigences. Une souffrance qui ne l’a certes pas empêché de soulever un trophée à Rio, il faut le concéder. Mais une souffrance qui l’amène également à confier en conférence de presse, tout à son soulagement : « Lors de mes trois premiers matches, j’ai été capable de trouver le bon rythme, de jouer agressif, sans faire d’erreurs. » Au match précédent, il avouait déjà « beaucoup mieux se déplacer ». Difficile de ne pas voir dans cette aisance reconquise le retour du patron numéro un mondial que des échecs surprenants avaient fait vaciller. Evidemment, son match face à Milos Raonic, prochainement top 10, ne sera pas une partie de plaisir, mais il a toujours fessé le Canadien jusqu’à présent, vainqueur de leurs quatre confrontations passées sans perdre un set. Dans la foulée, une demi‐finale contre Tomas Berdych ou Alexandr Dolgopolov ne paraît pas un défi insurmontable.
Alors voilà. Avec Roger Federer qui pourrait bien sentir, dès lundi, le fumet enivrant et sauvage du top 4, les trois frères peuvent fêter leur retour. Et la meute affamée des outsiders couiner dans leurs incontinences, en jappant de regret face aux quelques occasions manquées. Leur retour ?
Non. Non, non, pas leur retour – permettez‐moi cette ultime pirouette. Ces mecs‐là ne sont ni Didier Bourdon, ni Bernard Campan, ni Pascal Légitimus. Quitte à remuer l’évidence, ils n’ont quitté personne et n’ont pas fait d’adieux, ni au circuit, ni à leurs ambitions. Surtout, ils ne sont pas vraiment moins forts qu’avant. Non, ces trois frères‐ci ne sont pas de retour.
Ceux qui n’aiment pas les suites, même celles des meilleurs films, peuvent se rassurer. Certes, peut‐être pensaient‐ils en avoir fini avec les blockbusters « Big Two », « Big Three », « Big Four », constatant, excités, l’émergence d’une production Wawrinka aux projets originaux. Ils se sont trompés… pour le moment. Car la franchise Nadal‐Djokovic‐Federer est bien sur le déclin. Non qu’elle ne gagne ni ne gagnera plus. Mais les autres, concurrentes, vont les rejoindre petit à petit dans les mois à venir : Stanislas Wawrinka a montré la voie, Alexandr Dolgopolov, quelles que soient ses performances ce soir et vendredi, s’est engouffré à sa suite, et Milos Raonic, Fabio Fognini, Ernests Gulbis, Grigor Dimitrov, Marin Cilic… ne sont pas loin derrière. Ne manquent que les budgets à boucler et les castings à fignoler. Roland Garros et la saison sur terre battue ne mettront pas un point final au « Big‐X‐Y‐ou‐tartenpion », tant on voit mal Nadal fléchir ou Djokovic abandonner sa quête du Grand Chelem en carrière. Encore que, encore que… Monte‐Carlo, Madrid et Rome avaient failli‐failli nous étonner, l’année passée. Wimbledon marquera, qui sait, quelques nouvelles prémicees. Mais c’est l’été américain et le mois d’août qui mettront définitivement à l’épreuve les outsiders, leur dévoilant les tripes jusqu’à la fin de saison. A eux, alors, de rejoindre ces supérieurs. Et mettre un point final à l’histoire des trois frères.
Après #Murray et #DelPotro, Stan est le 3ème joueur à briser l’hégémonie #Federer – #Nadal – #Djokovic.
#AusOpen #Wawrinka
— Maxence Fabrion (@max_fabrion) 26 Janvier 2014
- La raquette de Novak Djokovic, disponible ici !
Publié le jeudi 27 mars 2014 à 16:15