AccueilLe blog de la rédac'Novak Djokovic n'est pas Didier Bourdon, Rafael Nadal n'est pas un inconnu

Novak Djokovic n’est pas Didier Bourdon, Rafael Nadal n’est pas un inconnu

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Ils sont de retour. Les trois frères. 

Oui, j’ai quelques semaines de retard. Mais le retard est l’apa­nage des hommes qui ne préci­pitent pas la réflexion, à hue, à dia, dans le mur, où vous voulez. Je sais ce que vous allez me dire, pour certains poli­ment, pour d’autres en injures. Que le film est sorti et que c’est un navet. Que Didier Bourdon, gras comme un loukoum, a le faciès beau­coup moins rigo­lard ainsi perdu dans des plis signés « Jabba the Hutt » ; que Bernard Campan est devenu plus plat que la Belgique après le plat de plati­tudes terribles servi dans le Coeur des Hommes ; que Pascal Légitimus a certai­ne­ment trop fait « goulou goulou » mais n’a plus ses talents de mara­bout du rire. Et que nous ne sommes ici, ni pour rappeler les grandes heures du nanar, ni pour faire s’agiter dans leurs tombes la clique des réali­sa­teurs thaï­lan­dais des années 80, grands défen­seurs du genre. 

C’est vous qui me le dites. Personnellement, je n’ai pas vu leur film, portant un regard toujours très circons­pect sur la résur­rec­tion des vieilles recettes passées et des héros jusqu’ici enterrés. Savoir mettre un point, un point final, nous en avions déjà parlé en janvier, c’est la force d’in­di­vidus supé­rieurs – point d’éga­lité bien pensante en ce monde de proies et prédateurs. 

Novak Djokovic, en matière de tennis, est indé­nia­ble­ment supé­rieur. Ce point final, il l’a mis à chacune de ses 10 dernières rencontres. Face à Marin Cilic, à John Isner, à Roger Federer… et à Andy Murray, hier soir, en Floride. On le disait pour­tant en ballo­tage défa­vo­rable depuis le début de saison. Une décep­tion à l’Open d’Australie, une défaite préma­turée à Dubaï et une asso­cia­tion avec Boris Becker qui prête à discus­sion. A tel point que l’iné­nar­rable Ion Tiriac s’était fendu, il y a quelques semaines, de cette remarque sans conces­sions : « Je ne sais pas si Boris est un bon coach, je ne sais même pas s’il est un coach ou juste quelqu’un qui essaie d’être entraî­neur. Si le travail de Becker est d’améliorer la tech­nique et la frappe de balle de Djokovic, alors il est la mauvaise personne. » L’interrogation semblait légi­time car Nole montrait un niveau de jeu de moins en moins convain­cant. Mais cette race de cham­pions, dans la diffi­culté, trouve souvent des ressources éton­nantes. Le Serbe l’ex­pli­quait encore hier soir : « Mon titre à Indian Wells a été très parti­cu­lier d’un point de vue mental, car j’ai bataillé tout du long. Je n’ai pas très bien joué, mais, au final, j’ai réussi à remporter le trophée. Sans jouer mon meilleur tennis. Cela m’a donné beau­coup de confiance. » Résultat : ce garçon aux joues creu­sées et aux yeux tour­mentés (déten­dons l’at­mo­sphère…) est en demi‐finale à Miami et en passe de réussir un doublé histo­rique : remporter à deux reprises le duo de Masters 1000 du prin­temps améri­cain. Seul Roger Federer y est parvenu jusqu’à main­te­nant, en 2005 et 2006. Son tableau peut lui laisser quelques espoirs, puis­qu’il affron­tera Kei Nishikori, valeu­reux mais forcé­ment éreinté, pour une place en finale. 

Un doublé histo­rique qui devra peut‐être supporter une confron­ta­tion face à un autre de ces indi­vidus supé­rieurs. Rafael Nadal. Lui aussi a collé le point final tant à Lleyton Hewitt, qu’à Denis Istomin ou Fabio Fognini, à qui il n’a concédé qu’un total de neuf jeux. Lui aussi semble avoir retrouvé toute sa verve tennis­tique, lors même qu’il semblait en souf­france ces semaines passées. Souffrance physique comme en finale de l’Open d’Australie… Souffrance dans le jeu, comme lors de sa sortie cali­for­nienne, il y a quinze jours. Peu à l’aise, il se plai­gnait beau­coup, comme si le niveau affiché ne corres­pon­dait plus du tout à ses immenses exigences. Une souf­france qui ne l’a certes pas empêché de soulever un trophée à Rio, il faut le concéder. Mais une souf­france qui l’amène égale­ment à confier en confé­rence de presse, tout à son soula­ge­ment : « Lors de mes trois premiers matches, j’ai été capable de trouver le bon rythme, de jouer agressif, sans faire d’erreurs. » Au match précé­dent, il avouait déjà « beau­coup mieux se déplacer ». Difficile de ne pas voir dans cette aisance recon­quise le retour du patron numéro un mondial que des échecs surpre­nants avaient fait vaciller. Evidemment, son match face à Milos Raonic, prochai­ne­ment top 10, ne sera pas une partie de plaisir, mais il a toujours fessé le Canadien jusqu’à présent, vain­queur de leurs quatre confron­ta­tions passées sans perdre un set. Dans la foulée, une demi‐finale contre Tomas Berdych ou Alexandr Dolgopolov ne paraît pas un défi insurmontable. 

Alors voilà. Avec Roger Federer qui pour­rait bien sentir, dès lundi, le fumet enivrant et sauvage du top 4, les trois frères peuvent fêter leur retour. Et la meute affamée des outsi­ders couiner dans leurs incon­ti­nences, en jappant de regret face aux quelques occa­sions manquées. Leur retour ?

Non. Non, non, pas leur retour – permettez‐moi cette ultime pirouette. Ces mecs‐là ne sont ni Didier Bourdon, ni Bernard Campan, ni Pascal Légitimus. Quitte à remuer l’évi­dence, ils n’ont quitté personne et n’ont pas fait d’adieux, ni au circuit, ni à leurs ambi­tions. Surtout, ils ne sont pas vrai­ment moins forts qu’a­vant. Non, ces trois frères‐ci ne sont pas de retour. 

Ceux qui n’aiment pas les suites, même celles des meilleurs films, peuvent se rassurer. Certes, peut‐être pensaient‐ils en avoir fini avec les block­bus­ters « Big Two », « Big Three », « Big Four », consta­tant, excités, l’émer­gence d’une produc­tion Wawrinka aux projets origi­naux. Ils se sont trompés… pour le moment. Car la fran­chise Nadal‐Djokovic‐Federer est bien sur le déclin. Non qu’elle ne gagne ni ne gagnera plus. Mais les autres, concur­rentes, vont les rejoindre petit à petit dans les mois à venir : Stanislas Wawrinka a montré la voie, Alexandr Dolgopolov, quelles que soient ses perfor­mances ce soir et vendredi, s’est engouffré à sa suite, et Milos Raonic, Fabio Fognini, Ernests Gulbis, Grigor Dimitrov, Marin Cilic… ne sont pas loin derrière. Ne manquent que les budgets à boucler et les castings à fignoler. Roland Garros et la saison sur terre battue ne mettront pas un point final au « Big‐X‐Y‐ou‐tartenpion », tant on voit mal Nadal fléchir ou Djokovic aban­donner sa quête du Grand Chelem en carrière. Encore que, encore que… Monte‐Carlo, Madrid et Rome avaient failli‐failli nous étonner, l’année passée. Wimbledon marquera, qui sait, quelques nouvelles prémi­cees. Mais c’est l’été améri­cain et le mois d’août qui mettront défi­ni­ti­ve­ment à l’épreuve les outsi­ders, leur dévoi­lant les tripes jusqu’à la fin de saison. A eux, alors, de rejoindre ces supé­rieurs. Et mettre un point final à l’his­toire des trois frères.


  • La raquette de Novak Djokovic, dispo­nible ici !