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Une girafe, un bijou… et l’écrin de mes souvenirs

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Ah, Maria… Voir la Russe triom­pher en Grand Chelem, c’est toujours un moment parti­cu­lier. Qui a ce truc en plus, ce petit quelque chose d’inou­bliable, ce côté pertur­bant, tout à la fois doux, chaleu­reux, rugueux – et froid, aussi, un peu. Paradoxal ? Oui, c’est ça, c’est le bon mot. Paradoxal. Tout, chez cette fille, respire le para­doxe. L’alliance du sibé­rien au flori­dien, en somme, une alliance impro­bable faite de taïga et de tropiques, sur laquelle elle s’est construite, elle, son image, sa carrière. 

Je me rappelle de son titre, en 2012, comme si c’était hier. Et de ses bonds, à la fin de la rencontre. Comme une gamine aux immenses compas qui n’ar­rive pas à croire à sa victoire, cette victoire qu’elle semblait ne jamais pouvoir s’of­frir, sur une surface long­temps aller­gène pour ses jambes de « vache », « sur une pati­noire », bien sûr – c’est elle qui le disait. Ces bonds avaient quelque chose de très touchant, un peu déplacés, car inat­tendus et enfan­tins venant de cette fille à l’image réglée comme une horloge.

Aujourd’hui, c’est encore un très joli moment qu’elle a offert au public plutôt froid du Philippe Chatrier. Avec, toujours, ce para­doxe dérou­tant d’une joueuse à la si slave déli­ca­tesse, teintée d’une super­si­tion maniérée, qui passe de la « Vierge Maria » à la bête sauvage, tantôt braillante, tantôt coui­nante, dès que l’échange s’en­gage. Et qui met tout sur le terrain, ses tripes, sa rage, sa violence contenue, son ambi­tion qui vous arrê­te­rait le soleil ou vous lisse­rait la lune, déter­minée à faire saigner le court. L’échange est fini ? Elle retrouve sa forme origi­nelle de poupée russe, sage, lisse, pas loin d’un samovar, bien au chaud dans l’isba.

L’éloge du paradoxe…

Un para­doxe qu’on retrouve jusque dans son jeu. Déroutant. Est‐elle une grande serveuse ? Les avis divergent. Les images qui restent, ce sont ces doubles fautes incroyables, ou ces fautes en revers, aujourd’hui. Et pour­tant… Sa première balle se révèle souvent meur­trière et la deuxième aussi, quand elle la frappe comme une première. Elle a gagné plus de 70% de points derrière cette première lors de cinq de ses sept matches, durant cette quin­zaine. Une première balle qui passe, en moyenne, dans 60% des cas. Difficile de la fustiger au vu de ces chiffres… Peut‐être est‐elle juste incons­ciem­ment agres­sive. Ce qu’elle a montré avec son coup droit, habi­tuel­le­ment friable, mais très régu­lier au cours de la finale. Un coup droit qui fuse à 100 à l’heure, au rebond bas, qu’elle peut cogner en bout de course, croisé ou décroisé. Oui, aujourd’hui, ce coup droit était une fulgurance.

Enfin, cette jeune fille de 27 ans, qui semble tout avoir pour elle, le fric, la beauté, l’in­tel­lect (oui, car elle est réflé­chie, très), pour qui tout semble facile, est en fait une travailleuse acharnée, une bosseuse, une beso­gneuse, qui s’est arraché pour revenir au plus haut niveau après ses soucis à l’épaule. D’ailleurs, un peu à la Nadal, elle ne cesse d’évo­quer le « travail » et sa volonté de « s’amé­liorer », en confé­rence de presse. « J’ai vrai­ment travaillé pour arriver à ce résultat », explique‐elle après sa victoire. « Il n’y a rien d’autre. On ne peut pas simple­ment rentrer sur un court et espérer gagner sans travailler vrai­ment. Il a fallu que je prenne sur moi, que je fasse des efforts pour m’amé­liorer, il a vrai­ment fallu que je travaille. » Et elle se retourne non sans une certaine émotion sur tous ces mois passés à bosser avec son équipe pour la remettre d’aplomb, d’abord ; pour l’aider à retrouver son meilleur niveau. Cette équipe qu’elle remercie d’ailleurs, encore et encore, avec un petit quelque chose dans les yeux, une grati­tude profonde, non feinte – et beau­coup d’amour.

Car rappe­lons quand même que sa saison 2013 a été stoppée mi‐août pour des problèmes à l’épaule droite. Encore. Logique que nous ne l’ayons pas retrouvée tout de suite en pleine posses­sion de ses moyens, en janvier. Et qu’elle ait pris de longues semaines pour être à nouveau compé­ti­tive. Six mois plus tard, la voici vain­queur de Roland Garros, un cinquième titre du Grand Chelem au palmarès. Un titre qui, malgré tout, la fait clai­re­ment entrer dans le panthéon des plus grandes joueuses de l’histoire. 

Oui, l’Histoire se rappel­lera de Maria Sharapova.

Et moi aussi, pour ces moments de beauté d’une étrange pureté, sa joie maladroite, sa stature de girafe, son jeu aux cris crépus­cu­laires. Son para­doxe. Un petit bijou, dans l’écrin de mes souvenirs. 

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