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Paul Newman : « Andy vous dira que le tour­nant s’est joué à Wimbledon contre Gasquet »

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Paru dans le GC13, cet inter­view a tout son sens à quelques jours de Wimbledon. En effet, Paul Newman, jour­na­liste chevronné du quoti­dien anglais The Independent nous livre son analyse du phéno­mène Murray !

Paul, je vous dérange en pleine lecture d’une biogra­phie sur Fred Perry. Vous pouvez nous rappeler qui est‐il ?

(Sourires) Il est le dernier britan­nique à avoir gagné Wimbledon en 1936.

Dans ce cas, pensez‐vous qu’une certain Andy Murray peut être son succes­seur ?

C’est bien possible et je pense que ça peut être bientôt. Peut‐être cette année ou dans un ou deux ans.

Quelle est la première fois que vous avez vu Andy Murray ?

C’est une bonne ques­tion. Je ne me souviens plus. Peut‐être à ses tous débuts sur le circuit. Je ne me rappelle pas l’avoir vu en junior. Je ne couvrais pas le tennis à cette période.

Mais qu’avez-vous pensé la première fois que vous l’avez vu ?
J’ai pensé qu’il était excep­tionnel. Il a toujours été très intel­li­gent, un joueur très spécial qui réflé­chit à ce qu’il fait. Il varie le jeu, il sort des amortis, il sort des lobs, il joue bas, il accé­lère, un joueur très intel­li­gent.

Si vous dîtes qu’il est intel­li­gent, c’est peut‐être que d’autres ne l’étaient pas. Par exemple Andy Murray ne s’est pas fait prié pour dire que la géné­ra­tion précé­dente, des gens comme Ljubicic, qui avait rencontré Federer n’avait pas énor­mé­ment réfléchi sur le court.

Peut‐être. Peut‐être. Il y beau­coup de joueurs intel­li­gents, mais en vérité ce n’est peut‐être pas suffi­sant d’être intel­li­gent, il faut aussi savoir faire des choses sur un terrain. Ljubicic est un bon exemple car c’est quelqu’un de très intel­li­gent, mais sur le terrain il n’a peut‐être pas le jeu ou alors il n’a qu’un style de jeu, ce qui ne lui permet pas de battre tout le monde. Andy a plein de cordes à son arc. Il est costaud physi­que­ment, il bouge très bien, très vite. L’intelligence n’est pas tout, il faut savoir manœu­vrer sur le terrain.

Parlons juste­ment du physique, est‐ce qu’il a été obligé de passer par ce programme de renfor­ce­ment parce qu’il avait des bles­sures ?

Il a fait des programmes de renfor­ce­ment mais pas autant que les gens le pensent. Il avait juste les problèmes d’un adoles­cent dont le corps se déve­loppe et il était assez sensible quand l’entraînement s’intensifiait. Quand il avait 17, 18, 19 ans, il ne forçait pas trop sur le travail et il a vu les consé­quences. Quand il est venu jouer à Monte‐Carlo il a eu des crampes contre Jean‐René Lisnard, puis derrière contre Monfils à Roland Garros en 2006 où là c’était le dos (défaite en 5 sets). Mais quand il a eu 20 ans, il a décidé de s’entraîner dur, et aujourd’hui il est bien plus costaud. Sur le court vous voyez bien qu’il tient plus long­temps que la majo­rité des joueurs. L’an dernier, quand il a joué Gasquet et qu’il perdait deux sets à zéro, il est revenu et il a gagné en cinq sets parce qu’il était le plus costaud à la fin. Il est plus solide que n’importe qui désor­mais.

On peut revenir sur cette année où il change d’entraîneur et va voir Brad Gilbert ? Qu’a‑t-il appris ?
Il a énor­mé­ment appris à cette période. Quand Brad Gilbert l’a pris sous sa direc­tion, il était entre la 50ème et la 30ème place, et il a grimpé jusqu’au top 10. Gilbert l’a aidé à comprendre qu’il fallait se renforcer physi­que­ment, et Brad analy­sait égale­ment très bien l’adversaire. Ils ont colla­boré 18 mois ensemble, et à la fin Andy a senti qu’il était temps de partir. Il y avait un problème de rapport et de géné­ra­tion. Gilbert est un gars volu­bile et extra­vertie. Murray est plus discret et intro­verti. Je pense qu’Andy se sent plus à l’aise avec Miles Maclagan. Il a 35 ans, c’est quelqu’un de calme, qui parle douce­ment. Andy trouve que c’est plus facile de bosser avec lui.

Vous le connaissez plus inti­me­ment que le public fran­çais, comment pourriez‐vous nous le décrire ?
Il est un petit peu timide. Il ne recherche pas la noto­riété. Vous pouvez le voir lors des confé­rences de presse. Il réflé­chit toujours à ce qu’il dit.

Oui, il ne cache pas les informations. 
Oui, il dit toujours ce qu’il pense, il a toujours quelque chose d’intéressant à dire. C’est un cerveau éblouis­sant. Il se souvient de tout. Il se souvient de matches ou de joueurs contre qui il vous rappel­lera des petites choses sur sa façon de jouer. Quand il va vous raconter les matches, il vous dit exac­te­ment comment ça s’est passé. C’est une encyclopédie.

En croi­sant Richard Evans il y a 6 mois à Bercy, il nous a dit « Andy a désor­mais battu tout le monde, il est prêt ». Quand avez‐vous pensé la même chose ?

Probablement après la finale de l’US Open. Ou même avant quand il a remporté son premier Masters Series à Cincinnati. Si vous discutez avec Murray, je pense qu’il vous dira que le tour­nant c’est le match contre Gasquet à Wimbledon. C’était le match qui lui a montré qu’il pouvait faire de grandes choses lors des gros tournois.

Vous pouvez nous situer l’ampleur de l’évènement de ce match contre Gasquet et la façon dont Andy a retourné la partie ?

Andy est déjà très popu­laire en Grande‐Bretagne. Mais peut‐être que le public s’est dit pour la première fois « Nous avons quelqu’un de très spécial ». Parce qu’au-delà du fait de revenir de deux sets à zéro, c’est la façon dont il a joué, dont il s’est servi du public qui a impressionné.

Oui, c’était la première fois qu’il faisait ça.

Oui, mais c’est qu’il a d’abord généré cette atmo­sphère par sa façon de jouer.

Quelle est sa rela­tion au public anglais au regard de la mini polé­mique née autour du fait qu’il soit écos­sais ?
En ce qui concerne Wimbledon, n’importe quel joueur britan­nique recevra toujours un fantas­tique soutien. Andy a toujours été énor­mé­ment soutenu à Londres et il le sera toujours.

A part Andy Murray, quels sont les autres joueurs britan­niques qui peuvent avoir la chance ?
Eh bien si je me projette sur des jeunes entre 17 et 21 ans, je ne vois aucun joueur du niveau d’Andy. Ce n’est pas la même chose chez les filles. Laura Robson, qui a gagné Wimbledon junior l’an dernier, peut devenir une très bonne joueuse. Heather Watson, junior elle aussi, est égale­ment un excellent espoir.


Mais comment se fait‐il que ce pays qui a inventé le tennis ait autant de diffi­cultés à produire des champions ?

Je crois que les joueurs n’ont pas assez faim. Mais je ne crois pas que nous sommes le seul pays à avoir ce problème. Où sont les grands joueurs italiens ? Où sont les Français vain­queurs de Grand Chelem ? Où sont les Américains ? L’Amérique est un grand pays, ils ont Roddick et Blake, mais à part ça ? Les Australiens aussi ont des problèmes. Aujourd’hui vous avez les gens de l’Est, la Serbie avec Djokovic et Ivanovic, les Russes, même la Bulgarie avec Dimitrov. Mais ce n’est pas parce que vous avez des programmes fédé­raux ou natio­naux que vous faites des grands joueurs. Murray n’est pas ce qu’on peut appeler un produit de la fédé­ra­tion. Quand il a eu 15 ans, il est parti en Espagne à l’Académie Sanchez‐Casals. Pourquoi une fédé­ra­tion devrait‐elle produire des joueurs ? Dans le foot­ball, vous ne vous attendez pas à ce qu’une fédé­ra­tion produise des joueurs. Pourquoi en tennis, il faudrait en attendre de même ?

Pour finir, depuis 9 mois, y a‑t‐il un effet Murray dans les médias ?
Oui, il y a bien plus d’intérêt du public. Chaque fin d’année, à la télé­vi­sion, il y a un programme qui s’intitule « La person­na­lité spor­tive de l’année ». Murray a été dans le top 10 lors des trois dernières années, mais s’il gagne Wimbledon, je suis sûr qu’il sera le premier.