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Bernard Pestre : « On ne monte pas 152 en deux an »

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GrandChelem se penche trop rare­ment sur des sujets de la pratique du tennis au quoti­dien. Alors, quand nous avons appris qu’une réforme prévoyait de faire baisser à 152 le clas­se­ment requis pour devenir profes­seur de tennis, nous nous sommes dit qu’il y avait, là, matière à débattre. L’occasion de donner la parole à ces ensei­gnants qui restent parmi les meilleurs témoins de la santé de notre disci­pline préférée. Notre volonté : prendre le pouls et comprendre les enjeux de cette réforme. Certains sont pour, d’autres contre, mais une chose est sûre : ces chan­ge­ments mettent un coup de projec­teur sur une profes­sion qui fait vivre le tennis chaque jour sur tous les courts du terri­toire. C’est peut‐être là l’essentiel.

Bernard Pestre, le direc­teur adjoint de la Fédération Française de Tennis, en charge de la forma­tion et qui a conduit la réforme, a répondu à nos ques­tions sans langue de bois. Cette mise au point permet de comprendre ce qui a motivé les changements.

Pouvez‐vous nous expli­quer la genèse de cette déci­sion qui a surpris beau­coup d’enseignants ?

« On a fait le constat qu’il y avait une réelle dimi­nu­tion du nombre de candi­dats aux tests de sélec­tion. Cette baisse était d’en­viron 15%. Dans le même temps, on a aussi constaté qu’il y avait des zones blanches sur le terri­toire, des régions où il n’y avait pas d’en­sei­gnants, chose qui posait un problème pour le déve­lop­pe­ment de la pratique. Naturellement, nous avons cherché à comprendre. Et nous avons ainsi mis en place des groupes de travail avec la Direction Technique Nationale, le Ministère de la Jeunesse et des Sports, les diri­geants élus de la FFT et l’en­semble de nos cadres tech­niques dans les Ligues. »

Quelles ont été vos conclusions ?

« Qu’il fallait permettre de postuler à un plus grand nombre de personnes. Logiquement, le plus effi­cace était de baisser les exigences de clas­se­ment. Après avoir regardé les chiffres, nous sommes tombés d’ac­cord sur le niveau 152. »

Avez‐vous subi une pres­sion de la part du minis­tère pour arriver à cette décision ?

« Non, et c’est très impor­tant de le dire. C’est une déci­sion de la Fédération et, d’ailleurs, c’est nous qui avions proposé au minis­tère de réflé­chir à cette possi­bi­lité, pas l’in­verse. C’est donc un choix stra­té­gique de notre part. »

Cette déci­sion en a étonné plus d’un. Tous les ensei­gnants que nous avons inter­rogés nous ont confié qu’il y avait, dans un passé récent, une volonté fédé­rale de hausser les critères de clas­se­ment. Ils évoquaient le cap de 4÷6…

« Là, c’est une vraie rumeur, car je peux vous assurer qu’il n’en n’a jamais été question. »

Que répondez‐vous à ceux qui affirment qu’at­teindre le niveau 152 est, somme toute, assez facile ?

« Le niveau tech­nique global a évolué. Être classé 152, ce n’est pas n’im­porte quoi, on sait jouer au tennis, même si le système, qui dépé­na­lise la défaite, favo­rise la montée au clas­se­ment par rapport à ce qui se faisait il y a vingt ans. »

Les ensei­gnants ne disent pas qu’un 152 ne sait pas jouer au tennis, mais qu’on peut monter 152 en deux ans si on a certaines capa­cités. Ils estiment que cela fait court pour avoir le privi­lège de se présenter aux tests de sélection…

« Les joueurs qui grimpent à 152 en deux ans de tennis ne sont pas légion. Je comprends qu’on soit attaché au clas­se­ment 15, le début de la seconde série, mais le chan­ge­ment n’est pas un sacri­lège et il faut vivre avec son temps. Les pratiques et les besoins évoluent et ce n’est pas en ne chan­geant rien qu’on va pouvoir faire bouger les choses, créer une émula­tion, voire une concur­rence. »

Le métier a évolué ?

« Exactement. L’enseignant n’a plus le même rôle. Certains clubs ne sont pas forcé­ment dans une situa­tion écono­mique floris­sante et l’une des missions de l’en­sei­gnant, dans certains cas, c’est aussi d’être un déve­lop­peur d’ac­ti­vité, un animateur. »

Mais alors pour­quoi ne pas avoir créé un autre diplôme lié à cette acti­vité ? Cela existe dans d’autres disciplines…

« C’était une possi­bi­lité que nous avons écartée, car nous ne voulions pas créer de Brevet Professionnel. On préfère inté­grer cette dimen­sion dans les fonc­tions du DE (Diplômé d’Etat). C’est un choix poli­tique et stra­té­gique. »

Cela laisse supposer que l’en­sei­gnant n’est plus unique­ment un technicien…

« Oui, mais dans sa forma­tion, la dimen­sion tech­nique est toujours présente, tout comme celle de chef de projet. Je tiens aussi à rappeler que la France est le seul pays où, pour ensei­gner le tennis, on doit obli­ga­toi­re­ment être diplômé. C’est primor­dial. D’ailleurs, depuis un certain temps, on ne peut plus se présenter à l’examen en candidat libre. Il faut obli­ga­toi­re­ment suivre une forma­tion de 1200 heures minimum, avec 700 heures de cours et 500 heures en club. Comprenez qu’il ne s’agit pas de déva­lo­riser cette profes­sion, bien au contraire. Nous voulons juste la rendre plus acces­sible, sachant que le clas­se­ment n’est qu’un prére­quis. Les sélec­tions sont là pour faire le tri. »

Vous devez être conscient que cela va grogner ?

« On est là pour répondre aux inter­ro­ga­tions. J’en veux pour preuve un certain nombre de CTR (Conseillers Techniques Régionaux) qui s’étaient opposés à cette réforme et qui, depuis les premiers tests de sélec­tion, sont revenus vers nous et ont changé d’avis. »

Que vous ont‐il dit ?

« Que cela permet­tait de mettre en place des tests d’entrée plus sélec­tifs, qu’ils rencon­traient plus de profils diffé­rents quant à l’ap­proche du métier, des moti­va­tions variées… »

C’est donc la solu­tion idéale, ce passage à 152 ?

« Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. On fera le point dans quelques années et, s’il le faut, on pourra recti­fier le tir. »

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Retrouvez gratui­te­ment et en inté­gra­lité le numéro 48 « L’union fait la force » de notre maga­zine GrandChelem.. Bonne lecture !