AccueilInterviewsPatrice Hagelauer : "On est tous amoureux de la terre battue"

Patrice Hagelauer : « On est tous amou­reux de la terre battue »

-

A l’oc­ca­sion de la sortie de GrandChelem 23, Welovetennis vous propose de décou­vrir, cette semaine, des entre­tiens qui vous permet­tront de préparer, au mieux, le rendez‐vous de la Porte d’Auteuil.

A suivre : GC23 ; Martina Hingis ; Francesca Schiavone ; Sam Sumyk ; Alexandra Fusai ; Patrice Hagelauer ; Novak Djokovic ; Tomas Berdych ; Nicolas Mahut ; Jo‐Wilfried Tsonga ; Roland Garros : leur première fois.

GrandChelem/Welovetennis est allé à la rencontre de Patrice Hagelauer, la semaine dernière, à Paris. Le Directeur Technique National se confie sur les grandes théma­tiques actuelles du tennis masculin et féminin fran­çais, à quelques jours du coup d’envoi de Roland Garros.

Aravane Rezai

Pour ce qui est du cas Aravane Rezai, on entend dire beau­coup de choses, alors clari­fions. Actuellement, Alexia Dechaume lui donne un coup de main. Mais ce n’est que provi­soire pour le moment, vu qu’elle ne peut pas cumuler les fonc­tions ; en tant qu’entraîneur de Fed Cup, ça pour­rait poser un problème d’équité vis‐à‐vis des autres joueuses. Toujours est‐il que, nous, on a répondu à une demande de la part d’Aravane. Elle était désor­ga­nisée et elle nous a demandé qu’on l’aide à la remettre en ordre de marche. Donc, on lui a trouvé un prépa­ra­teur physique, Vincent Lamarque, et Alexia lui donne un coup de main. On ne peut pas vous dire où elle s’entraîne, non que ce soit un secret, mais plus parce qu’il lui faut du calme. Elle veut rester tran­quille pour retrouver un certain équi­libre. Ca dépasse le stade du tennis, là, on parle de l’humain, d’une personne et c’est quelque chose qu’il faut respecter. 

La poli­tique sportive

La nouveauté, c’est qu’on a mis en place un programme d’accompagnement des projets spor­tifs. On a désor­mais deux options : ou on accom­pagne les joueurs et les joueuses au quoti­dien, avec les struc­tures qui vont avec, etc., comme c’est le cas de certains ; ou on signe avec eux des conven­tions qui les lient à la Fédération, tout en leur permet­tant de conserver leur indé­pen­dance. Ces conven­tions, à partir du moment où le joueur les a vali­dées, elles nous permettent de parti­ciper finan­ciè­re­ment et de soutenir le joueur ou la joueuse, quand bien même il reste indépendant. 

Ces parti­ci­pa­tions finan­cières, elles évoluent en fonc­tion du clas­se­ment de l’année précé­dente. Elles sont dévo­lues à leurs frais d’entraînement, par exemple. C’est une somme forfai­taire, plus impor­tante pour les femmes que pour les hommes, pour la simple et bonne raison qu’il y a moins d’argent dans le circuit féminin. Des exemples : on va donner 25 000€ aux hommes entre la 50 et la 100ème place, 30 000€ aux filles ; 50 000 pour les garçons entre la 49ème et la 30ème place, 60 000 pour les femmes… Après, tous choi­sissent leurs coaches comme ils en ont envie. Nous, on n’intervient pas là‐dedans. Par contre, on leur met à dispo­si­tion des aides médi­cales, on leur offre notre aide dans la prépa­ra­tion physique, c’est le cas de Richard (Gasquet) et Jérémy (Chardy)… Tout ça nous permet de garder une attache avec les joueurs et joueuses, quelle que soit leur situation.

D’autres pays fonc­tionnent complè­te­ment diffé­rem­ment. Nous, on a la volonté d’entretenir des rapports sains avec tous les joueurs, quelles que soit leur indé­pen­dance. L’idée, c’est d’être une famille, c’est ça, notre label et c’est un état d’esprit qu’on conserve et qu’on cultive. On ne veut pas de rela­tions tendues avec nos joueurs, ce n’est l’intérêt de personne et ça nuirait à l’épanouissement de chacun. Et, aujourd’hui, cet esprit de famille, c’est une réalité. Quand on demande aux gars de venir faire une journée dans des centres et des opéra­tions quel­conques, ils viennent avec plaisir et s’éclatent vrai­ment. Le tout, nous réclamer telle ou telle somme d’argent, ou je‐ne‐sais‐quoi encore. C’est quand même bien diffé­rent de certains pays… En Grande‐Bretagne, Murray a réclamé 1,2 millions de Livres Sterling pour jouer la Coupe Davis. C’est ce genre de situa­tions qui gangrène vos rapports et qu’on souhaite abso­lu­ment éviter.

Les 18–22 ans

L’autre idée, c’est de faire des 18–22, chez les garçons, notre cheval de bataille. Il y a de vrais efforts à fournir dans cette caté­gorie d’âge. C’est d’ailleurs Eric Winogradsky qui s’en occupe actuel­le­ment, vu qu’il a une certaine expé­rience en la matière, avec son histoire aux côtés de Jo‐Wilfried Tsonga. Ces dernières années, cet effort chez les 18–22 n’a pas été assez intense et, aujourd’hui, on manque de jeunes dans cette caté­gorie. Si l’on ne se mobi­lise pas rapi­de­ment, d’ici trois ou quatre ans, on aura le même problème que chez les filles actuel­le­ment. Avec le temps, on est devenus trop élitistes. L’autre point, c’est qu’il faut regrouper les meilleurs. Ca leur donne de vraies réfé­rences, il y a de la compé­ti­tion, de l’émulation, les gamins se tirent la bourre… 

La forma­tion

Je pense qu’on s’est trompé en faisant des jeunes perfor­mants dans leurs caté­go­ries d’âges des futurs cham­pions, en consi­dé­rant comme un signe fort de leur destin à venir leurs bons résul­tats chez les jeunes. Or, la compé­ti­tion Junior, ce n’est pas un objectif, ce n’est pas un but en soi. C’est une forma­tion. On a eu beau­coup de discus­sions avec les entraî­neurs et les joueurs. Il est, certes, très impor­tant de bien jouer chez les jeunes et d’y être perfor­mants, puisque c’est une étape essen­tielle pour se former et déve­lopper son jeu. Mais, le vrai révé­la­teur n’est pas là : ce qui est encore plus impor­tant, c’est de se faire les crocs dans les tour­nois Futures, où on se trouve dans la merde jusqu’au cou – pardonnez‐moi l’expression –, ou on rencontre des morts de faim de tous âges et ou, surtout, on gagne moins. 

Le vrai palier, il est là. On passe du circuit Junior, où l’on joue dans des condi­tions opti­males, au circuit Future, où l’on est parfois dans l’inconfort le plus absolu. C’est à ce moment que le jeune pose vrai­ment ses premiers jalons pour devenir un cham­pion, qu’il apprend à gérer la défaite. En Junior, il gagnait 50 matches dans l’année ; sur le circuit, il descend à une ving­taine. C’est une dyna­mique complè­te­ment diffé­rente qui forge le carac­tère et qui remet les choses en place : acquise dans l’adversité, la victoire est d’autant plus précieuse, on mesure tous les efforts à faire, on n’est plus qu’un jeune promet­teur parmi d’autres qui doit se bouger les fesses pour atteindre le plus haut niveau. Ca vous forge un carac­tère et c’est à tout ça que l’on doit former les jeunes, à cette échéance. 

Les petits génies de 14–16 ans, c’est terminé, il faut rela­ti­viser. Le haut niveau, c’est autre chose que la compé­ti­tion Junior. Et l’on ne travaille pas pour faire des cham­pions de 14 ans, on travaille pour former des jeunes qui seront des cham­pions à 20 ans.

Et ça néces­site énor­mé­ment de rigueur, de disci­pline et de profes­sion­na­lisme. Les jeunes ne sont pas là pour être sur Facebook jusqu’à deux heures du matin. Comment tu veux atteindre le top 10 avec cette disci­pline, avec ce mode de vie. Il y a un sérieux qui est de mise, des sacri­fices à faire et il faut en avoir conscience. Vous savez, c’est comme à l’école. On passe la Bac, on le réussir, c’est bien. Mais, après, si on veut réussir Polytechnique, on doit faire des sacri­fices et on n’y arrive pas en squat­tant son ordi­na­teur jusqu’à point d’heure. Quand vous déboulez sur le circuit des grands, vous avez 1500 mecs qui ont le couteau entre les dents. Si, vous, vous n’avez pas de disci­pline, vous passerez derrière ceux qui mettront tout en œuvre pour réussir.

La terre battue et Roland Garros

On est tous amou­reux de la terre battue et, pour nous, se former sur terre, c’est une expé­rience irrem­pla­çable. C’est la surface la plus forma­trice et on essaie d’aller dans ce sens et de déve­lopper ça. Après, avoir des courts sur terre – aujourd’hui, on est à 14% de courts sur cette surface –, c’est aussi une affaire de clubs. D’autant que, désor­mais, on a la possi­bi­lité d’avoir des courts sur dur, tous temps, beau­coup plus confor­tables et agréables qu’avant.

Pour ce qui est de Roland, que peut‐on dire ? Jo‐Wilfried a décidé de prendre son indé­pen­dance, c’est que du positif. Jo, c’est quelqu’un d’intelligent, qui se connaît très bien. Il a tout à fait la capa­cité à déter­miner ce qui est bon pour lui. D’autant qu’il est entouré. La seule inquié­tude à son sujet, c’est son hernie ingui­nale. Mais, bon, il cavale comme un lapin, là, donc espé­rons qu’elle le laisse tran­quille. Richard, lui, il est content. Il évolue bien et dans le bon sens. Son coup droit qui était douteux aupa­ra­vant, il est en train de le poser et d’en faire une vraie arme. Par ailleurs, il se pose beau­coup moins de ques­tions, aujourd’hui, il gamberge vrai­ment moins. Cela, avec une tech­nique bien en place, ça vous donne une bonne dyna­mique et pas mal d’espoirs. Et puis, son entou­rage est extrê­me­ment perfor­mant et fait un travail remar­quable. Ricardo Piatti, c’est un type assez incroyable, un vrai person­nage à part entière, très intel­li­gent. Quant à Seb’ (Sébastien Grosjean), c’est pareil. Il est de très bon conseil et lui apporte beau­coup de choses. Tout ce renou­veau que Richard a été capable d’insuffler dans sa carrière, c’est impor­tant et ça nous donne beau­coup d’espoirs et d’enthousiasme.

Son premier souvenir à Roland Garros

Ah, mon premier souvenir à Roland Garros… C’est très personnel ! En fait, je suis né au Maroc, à Marrakech, et j’ai vécu 17 ans là‐bas. J’ai débarqué en France avec un clas­se­ment qui devait être… 151, quelque chose comme ça. J’ai disputé des quali­fi­ca­tions pour les Championnats de France dans le Poitou‐Charentes et je me suis qualifié, juste­ment. J’étais jeune, tout fier… J’étais le petit Français de Marrakech – et le Marrakech d’alors, ce n’était pas celui d’aujourd’hui ! (Rires) –, je débar­quais à Roland ou ouvrant des yeux comme ça… J’étais impres­sionné, comme tu n’imagines pas ! Et puis, aux Championnats de France, j’ai fait mon petit bonhomme de chemin. J’ai gagné des matches et je me suis retrouvé en quarts de finale. En face, j’avais Georges Goven, ma star de l’époque, qui était déjà première série, numéro deux ou trois, qui jouait déjà sur le circuit mondial…Et la Fédération, Gilles de Kermadec, etc., autour de moi, se deman­daient : « Mais qui c’est, ce p’tit gars qu’on ne connaît pas ? » C’est un souvenir assez incroyable, avec les gens de la Fédé qui décou­vrait le petit Français du Maroc et, moi, qui rencon­trais toutes ces personnes. Bon, Georges m’avait mis une belle raclée ! (Rires)

Il y a toujours une exci­ta­tion parti­cu­lière à l’approche de Roland, oui. Toujours. J’adore Roland Garros, c’est un moment telle­ment incroyable, avec des émotions et des souve­nirs qui reviennent… On a les yeux qui brillent à cette période de l’année ! (Rires) Et puis, comme me disait Yannick (Noah), à un moment donné – quand on se deman­dait s’il fallait qu’on parte, qu’on quitte ou non le site actuel : « Ecoute, on ne peut pas partir ! Je crois qu’il n’y a pas un seul endroit où je n’ai pas pissé, à Roland Garros ! »