AccueilInterviewsSam Sumyk : "Ce que je fais, c’est de la rigolade !"

Sam Sumyk : « Ce que je fais, c’est de la rigolade ! »

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A l’oc­ca­sion de la sortie de GrandChelem 23, Welovetennis vous propose de décou­vrir, cette semaine, des entre­tiens qui vous permet­tront de préparer, au mieux, le rendez‐vous de la Porte d’Auteuil.

A suivre : GC23 ; Martina Hingis ; Francesca Schiavone ; Sam Sumyk ; Alexandra Fusai ; Novak Djokovic ; Tomas Berdych ; Nicolas Mahut ; Jo‐Wilfried Tsonga ; Patrice Hagelauer/Arnaud di Pasquale ; Roland Garros : leur première fois.

Impossible de faire un numéro de GrandChelem spécial Roland Garros sans inter­roger notre témoin de toujours, Sam Sumyk, coach de Victoria Azarenka, le plus Breton de nos entraî­neurs expa­triés. Sam tutoie les sommets aux côtés de sa joueuse, numéro cinq mondiale après son titre à Miami, début avril. Ce Monsieur du tennis revient, pour nous, avec sa verve habi­tuelle, sur son métier d’entraîneur et sa quête de la perfor­mance. Une quête sans fin, la quête d’une vie.

Sam, on a demandé à un certain nombre de person­na­lités du tennis de raconter leur premier Roland Garros. Alors toi, c’était quand ?

Si tu veux, le problème, c’est que je n’ai pas beau­coup de mémoire… Forcément, j’ai un peu tout oublié ! 

Je ne te crois pas…

Bon, okay, le premier souvenir c’est en tant que spec­ta­teur. J’étais avec un ou deux potes. Je n’avais pas d’accès au Central, je suis juste entré dans l’en­ceinte. A l’époque, il n’y avait pas le Lenglen, on était en plein dans la période Noah, McEnroe et Lendl. A vrai dire, Roland Garros, j’y reve­nais aussi l’hiver pour voir ce qu’il se passait. Au CNE, il y avait toujours des joueurs qui s’en­traî­naient. Je venais les voir. J’y trou­vais aussi des publi­ca­tions, j’en ache­tais souvent. 

Et, un peu plus tard, la première en tant qu’entraîneur…
Oui, avec Meilen Tu ! Ca fait main­te­nant 15 ans. Elle jouait les quali­fi­ca­tions en simple. Quand on a démarré, Meilen était 140ème joueuse mondiale. Puis, son clas­se­ment s’est amélioré et on a eu accès au grand tableau.

GrandChelem a fait ta connais­sance il y a quatre ans. A ce moment‐là, tu étais coach d’Elena Likhovtseva, Meilen Tu et Vera Zvonareva, rien que ça !

La vérité, c’est que j’étais dans le jus, oui, dans le jus !

Tu n’avais pas une minute à toi…

C’est vrai, mais c’était aussi dû à mon mode de fonc­tion­ne­ment. En fait, les filles ne s’en­traî­naient carré­ment jamais ensemble… Ah ! Tiens ! J’ai un vrai souvenir, là, à propos de Roland Garros ! C’est plutôt rigolo – enfin, on va pas s’es­claffer, mais je trouve ça sympa.

Explique…
J’étais avec Meilen – elle était 35ème mondiale, à l’époque – sur le court numéro 16 ou 17, je ne sais plus. C’était le matin, très tôt, car on s’en­traî­nait toujours à l’aube. Il n’y avait que trois courts occupés à cette heure si mati­nale. Serena et son spar­ring, Venus et son coach et Richard Williams. En plein entraî­ne­ment, j’ar­rête la séance, je regarde Meilen et je le lui dis : « Tu vois, là, sur le même lieu, il y a les trois meilleures joueuses des Etats‐Unis d’Amérique. Serena, Venus… et toi. » Elle a souri, on s’est marrés. Un petit moment de gloire, très court, puis on s’est remis au boulot !

Coach de trois joueuses, tu avais un vrai team ! On l’avait d’ailleurs appelé les « Samy’s Angels »…

Likhovtseva était top 15, Vera se cher­chait un peu, elle reve­nait d’une mono­nu­cléose… Mais j’ai adoré cette période. Gérer trois joueuses du top 40, c’était un truc de malade. L’avantage, c’est que j’étais tout le temps occupé. Après, c’est vrai que tu fais un peu moins atten­tion aux détails, malheureusement.

Le point positif, c’est que tu n’étais jamais dans l’at­tente, comme c’est souvent le cas…
Maintenant que je n’en ai plus qu’une (rires), c’est vrai que je vois la diffé­rence. Mais ce n’est pas pour autant que je traine dans le Player’s Lounge. Au contraire, j’en profite pour faire le petit travail d’extra. Et je peux aussi prendre du temps pour moi, aller courir, par exemple. Pendant Roland Garros, c’est extrê­me­ment facile, le Bois de Boulogne est tout près, il suffit de traverser la rue. Pendant certains tour­nois, je fais aussi un peu de gym. En fait, il faut se servir de ces moments pour entrer en réflexion et garder l’es­prit ouvert. Ne surtout pas utiliser ces instants pour glander, surtout pas ! 

Au Player’s Lounge, ce n’est pas là où vous pouvez vous retrouver entre coaches pour discuter ?

Pas vrai­ment ! (Rires) En fait, il y a très peu d’échanges, voire pas du tout. Quand on discute avec un collègue, on a vite l’impression qu’il cherche à garder ses petits secrets. Alors, bien sûr, on en a toujours quelques uns, des secrets. Mais bon… Tout le monde veut tout savoir sur tout, mais ne rien dire sur soi. Heureusement, il y a quelques excep­tions. Quand il était sur le circuit, je me rappelle avoir eu pas mal de contacts avec Arnaud Decugis (ex‐entraîneur de Julie Halard).

Revenons à ton boulot. Dans le métier d’entraîneur, le premier job, c’est de bien plani­fier une saison, non ?

Oui et non. A mon sens, il est très diffi­cile de plani­fier quelque chose de précis dans le tennis de haut niveau. Mais ça n’engage que moi ! En fait, tu as ton fil rouge, mais tu sais que ta program­ma­tion va presque systé­ma­ti­que­ment changer. D’autant qu’avec Victoria, tout se fait dans la concer­ta­tion géné­rale. Pas une déci­sion n’est prise sans le feu vert de la joueuse. Victoria apporte ses impres­sions et ses idées. Parfois, il se peut que ce qu’elle a en tête soit mieux pour nous et pour notre orga­ni­sa­tion. Mon job, c’est d’écouter et de savoir m’adapter. Car, une saison, ce sont des hauts et des bas. Il est très diffi­cile de dire : « On va faire un exer­cice sur le revers lundi et un travail sur la volée mardi. » L’idée que l’on puisse tout péter sur le papier, ça ne marche plus. Je le répète : le maître mot, c’est « s’adapter aux situations ».

Tu es en train de nous dire qu’il n’ar­rive jamais ce que tu as prévu ?

En fait, neuf fois sur 10, on fait ce que j’avais prévu. Mais pas comme je l’avais prévu ! (Rires)

Sam, main­te­nant que tu nous as expliqué les bases, dis‐nous : c’est quoi un bon coach ? Un coach qui a des résultats ?

Euh… Les résul­tats, c’est le sport…

Donc ?

Okay, je vais prendre un exemple. Ce n’est peut‐être pas un bon exemple, mais tant pis ! (Rires) Brad Gilbert. Très bon joueur. Oui, très bon joueur, 4ème mondial, etc. Tu diras ce que tu veux, Laurent, mais Brad Gilbert a joué à un niveau que jamais je n’au­rais pu atteindre ! (Rires) Ensuite, en tant qu’entraîneur, il a coaché Murray, un peu de Roddick, Agassi, surtout. Mais, la vérité, c’est qu’il n’a pas entraîné que ces trois‐là ! Et, parmi tous les autres joueurs, il y en a un certain nombre avec qui il n’a pas eu de bons résul­tats. Alors, ça fait de lui un mauvais ou un bon entraî­neur ? La vérité, elle est simple : il n’y a pas de bons entraî­neurs sans bons élèves. 

Il n’y pas que ça !

Non, bien sûr, un bon coach, c’est aussi quel­qu’un qui sait s’ef­facer et se faire oublier…

Quelqu’un de libre, également ?

Libre ?

Libre de milieu, libre intel­lec­tuel­le­ment, libre financièrement…

C’est pour ça que ce n’est jamais simple !

Imaginons : tu n’en­traînes plus Azarenka, mais une autre joueuse…
Je te prends au mot. Il ne faut pas penser que le but d’un coach est d’en­traîner unique­ment des top players. Si tu coaches une fille qui est 500ème mondiale et que tu arrives à la monter à la 120ème place, c’est déjà une expé­rience énorme ! Il n’y a pas que le top 10 ou le top 20 qui compte. A mon sens, prendre une adoles­cente et l’amener au haut niveau, c’est un sacré exploit. Tu es forcé­ment un bon coach si tu y parviens.

C’est peut‐être plus simple de définir ce qu’est un mauvais coach, de dire ce qui ne fonc­tionne pas…

Là‐dessus, j’ai une petite certi­tude. Ca ne fonc­tionne pas quand le coach est plus impor­tant que le joueur. D’ailleurs, c’est peut‐être pour ça qu’il y a si peu de grands joueurs qui réus­sissent à devenir de très, très bons coaches.

Le souci de ce métier, c’est qu’il n’a qu’un critère d’évaluation : le résultat. Quand Azarenka gagne, tu es jugé perfor­mant, et quand elle ne gagne pas…
On est dans le sport, seul le résultat compte. En plus, au tennis, il n’y pas de match nul. C’est cash, tu gagnes ou tu perds. Après, si tu aimes la compé­ti­tion, tu cherches à être toujours meilleur. Comme le joueur ou la joueuse, l’en­traî­neur recherche constam­ment la perfor­mance. Il veut toujours relever un nouveau défi.

Sam, on commence à bien te connaître. Il y a une chose qui me frappe chez toi : tu sembles toujours en quête de quelque chose. Tu ne parles jamais d’accomplissement, suite à un titre, ou d’objectifs, gagner un Grand Chelem, par exemple…
Parce que ce qui m’intéresse dans ce métier, c’est ce que je vais mettre en place pour améliorer mon athlète. Alors, bien sûr, c’est un super feeling de l’emporter et, quelle que soit la personne que j’entraîne, je veux tout gagner. Il n’empêche, si elle gagne un tournoi, je ne pense pas au prochain qu’elle va ou doit emporter, mais plus à ce que l’on va pouvoir faire de mieux.

Mais, dans la vie, il faut aussi s’arrêter et prendre du plaisir dans le travail accompli, non ?

Je ne sais pas. Après, c’est évidem­ment une énorme satis­fac­tion person­nelle quand mon athlète réussit, je ne peux pas le nier. Je me dis que je suis un peu moins con.

Tu ne te dis pas, simple­ment, « je suis bon » ?

Non.

Que tu es plus perfor­mant que d’autres ?

Non, non, surtout pas ! Mais tu as le senti­ment que tout le monde a fait du bon travail et qu’on est tous allés dans la même direc­tion. Ca, c’est vrai­ment génial !

A Miami, par exemple ? Tu as eu la chair de poule ? (NDLR : Victoria Azarenka a remporté le titre)

Ecoute, tous les lundis, on repart de zéro, il faut remettre ça. Si tu gagnes le dimanche, trois heures plus tard, tu es à l’aé­ro­port. Tu n’as pas vrai­ment le temps de profiter, parce que tu es à nouveau sur le court deux jours après. Et puis, il faut se méfier de la victoire. Tout le monde la souhaite et la désire. Tout le monde veut gagner le plus long­temps et le plus souvent possible. Mais, quand tu es dans une bonne phase, la victoire est extrê­me­ment perni­cieuse ! C’est un truc de fou. C’est pour ça que, de temps en temps, on a dû mal à s’en­dormir et qu’on boit un peu de bon pinard. 

Mais il faut aussi pouvoir en profiter ! A quoi ça sert, sinon ?

Oui, je te rassure, ne t’in­quiète pas. (Rires) En plus, la victoire à Miami est parti­cu­lière. Ce n’est pas un petit tournoi. Et c’est aussi un succès très précieux, car je sais d’où l’on vient. Au final, le chemin vers la victoire est aussi impor­tant que la victoire en soit.

D’autant que la victoire, c’est surtout le terrain de l’athlète…

C’est son moment, c’est évident. Autour, on est tous heureux, mais c’est vrai­ment son moment, ça lui appar­tient. On fait juste partie de son petit cercle, donc on est là et on ressent les choses.

Tu te lâches, c’est rassurant !

Se lâcher, on le fait plus tard, en comité privé. Ce que j’es­père par dessus tout, c’est que ce genre de succès ouvre des portes là‐haut, entre ses deux oreilles. (Sourire)

Donc un vrai coach, c’est quelqu’un qui donne, plus qu’il ne reçoit ?

Oui, on est là pour donner, sinon on ne ferait pas ce métier. Donner, donner et encore donner. Mais aussi guider un peu. Après, faire un boulot qui te plait, ça n’a pas de prix. Mon père a été artisan pendant 45 ans. Moi, ce que je fais, c’est de la rigo­lade ! Il faut prendre conscience de la chance qu’on a. Mes certi­tudes, aujourd’hui, sur mon parcours, elles sont simples : j’adore partir d’une feuille blanche. C’est le processus en lui‐même qui me plait. J’adore entraîner, c’est clair.

Un coach, c’est aussi un meneur d’hommes. C’est obli­ga­toire, non ?

On fait tous ca. On peut tous être meneurs d’hommes. On peut tous encou­rager, être très posi­tifs, mais brutal, égale­ment, quand il faut distri­buer des cartons jaunes ou rouges à son athlète. Et ce n’est pas toujours évident, vu qu’on est payé par lui… Sauf quand l’ath­lète est intelligent. 

C’est essen­tiel d’être rému­néré par son athlète ?

Mon contrat, il est très simple : une discus­sion les yeux dans les yeux, un oui ou un non, une poignée de main et c’est parti ! Evidemment que c’est crucial, parce qu’on fait partie du projet de l’athlète, il faut qu’il s’approprie le truc. Financer son projet, pour lui, c’est une vraie forme de respon­sa­bi­li­sa­tion. Je trouve ça décisif.

Est‐ce que Sam Sumyk a une spécia­li­sa­tion de coaching féminin ?

J’adorerais entraîner un homme. En serais‐je capable ? Je ne sais pas, mais je m’adap­te­rais. De toute façon, comme ça fait très long­temps que j’en­traîne des femmes, demain, si un joueur cherche un coach, il ne pensera pas forcé­ment à moi. Il regar­dera chez les hommes d’abord. 

Tu regardes encore beau­coup de matches de tennis ?

Plus main­te­nant, mais j’en ai regardé beau­coup. J’ai changé ma vision de l’en­traî­ne­ment du haut niveau. Avant, je voulais abso­lu­ment connaître tous les styles des joueuses. Je prenais beau­coup de notes, etc. Je me disais que ça faisait partie de mon rôle. Aujourd’hui, je pense que j’ai une meilleure connais­sance du très, très haut niveau – même si ça sonne préten­tieux, je m’en fous ! (Rires) Du coup, je vais encore voir quelques matches, mais je sais pour­quoi j’y vais et c’est souvent pour un détail.

Tu es partisan du fameux débriefing ?

Absolument, Victoria n’y échappe jamais, qu’il y ait victoire ou défaite. Parfois, c’est quand on a fini un cycle, une série de tournois.


Et ça se passe comment ?

Autour d’une table ! (Rires)

Ca peut durer ?

Ca dépend…

En Anglais ?

En Breton ! (Rires) Non, bien sûr, dans la langue de Shakespeare.

Aujourd’hui, tu penses en Français ou en Anglais ?

Au départ, quand tu apprends, tu penses dans ta langue mater­nelle et tu traduis, ce qui crée souvent un déca­lage. Mais, main­te­nant, j’ai le problème inverse ! Je connais le mot en Anglais et pas en Français. Du coup, je mélange ; dans ma phrase, il y a souvent les deux ! (Rires) Mais, avec Victoria, je n’ai pas ce souci puisqu’elle ne comprend pas le Français. Je me contente de l’Anglais. D’autant que je ne pense pas que je serais meilleur si je parlais sa langue (le Biélorusse). Je ne dirais pas la même chose si j’avais vécu en Biélorussie pendant dix ans, bien sûr…

C’est‐à‐dire ?

On n’entraîne pas une Biélorusse de la même façon qu’une Sud‐Américaine ou qu’une Française. Pour moi, c’est parfois compliqué. Je t’avoue qu’il y a des moments où je me dis que je ne comprends pas tout… Et d’autres où je me dis que je ne comprends rien et que, de toute façon, nous, Français, on ne comprendra jamais rien à ces « Popov » – et je le dis avec beau­coup d’affection ! (Rires)

Et Victoria, elle aussi ne comprend pas forcé­ment ta culture française ?

C’est clair ! C’est vrai qu’on a des manières de faire qui ne leur convient pas toujours. Victoria me met des cartons, parfois, lors des bilans, ne t’in­quiète pas !

Tu ne trouves pas qu’on parle assez peu des Français qui réus­sissent à l’étranger ? Ca ne te dirait pas de créer une « Sam Sumyk Academy » ? (Rires)

Je ne pense pas que je sois aussi impor­tant que ça. (Sourire)

Une fois que tu auras fait ce que tu as à faire sur le circuit, je suis sûr que tu t’investiras dans un projet bleu‐blanc‐rouge…
(Silence) Je ne sais pas comment t’expliquer. Nous, Français, on n’est pas plus cons que les autres. Mais je suis fatigué d’en­tendre le même discours depuis trente ans. Je n’aime pas notre approche du sport. Je ne parle pas de nos athlètes, mais de l’idée qu’on se fait de la perfor­mance. Je n’aime pas ! Ca va peut‐être en choquer certains… Je ne sais pas comment dire, mais, moi, les syndromes Poulidor, ça m’emmerde. Je n’ai rien contre lui, c’est magni­fique ce qu’il a réalisé. Mais Hinaut, ce n’est pas rien non plus, Alain Prost égale­ment et je ne parle pas des joueurs de hand­ball ! Là, c’est même encore un poil au‐dessus, je pense. On supporte toujours ceux qui ne gagnent pas. Et, lorsqu’on en a qui gagnent enfin, on les attaque ! Ca m’énerve. On devrait plutôt être fiers, car il y a beau­coup de travail derrière chaque performance.

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