Pour son numéro 22, GrandChelem/welovetennis a décidé de faire la lumière sur le circuit secondaire. Entretiens…
A la rencontre d’un circuit bien particulier ; Stéphane Apostolou ; Claire Feuerstein ; Gianni Mina ; Arnaud Clément ; Eric Prodon ; Stéphane Robert.
A suivre : Jarkko Nieminen, Frederico Gil.
Stéphane Robert est un habitué du circuit secondaire. Lui qui a connu une ascension fulgurante, passant de la 900ème place à la 61ème en à peine un an et demi, a vécu les galères des Futures aux lumières des Grands Chelems. Une personnalité à part, un état d’esprit singulier… En résumé : un bon client !
Pourquoi être venu jouer l’Open de Guadeloupe plutôt que les qualifications d’Indian Wells ?
Je ne rentrais pas dans les qualifs d’Indian Wells, donc la question ne se posait pas. Et puis, de toute façon, ça ne m’intéressait pas forcément : actuellement, je suis dans l’idée de rejouer des Challengers. J’ai regardé le programme : il y avait San Jose, au Costa Rica, Rimouski et Rabat. Rabat, monde arabe, problèmes politiques en ce moment, on raie. Rimouski, il fait ‑15°C, on raie. San Jose, au Costa Rica, c’est en altitude, on raie. Guadeloupe, Paradis, on y va !
Pourtant, le plateau était plus relevé ici qu’à Rimouski…
Oui, mais je m’en moquais complètement. A l’origine, je venais ici en vacances : je suis arrivé une semaine en avance pour découvrir l’île, le tournoi, c’était pour la deuxième semaine. Savoir que le plateau allait être très, très relevé, ça ne m’a pas découragé une seconde. Mon idée, c’était de profiter. C’est d’ailleurs ma logique actuelle : je profite un peu de tous ces tournois, de ma vie sur le circuit. J’ai démarré la saison en me disant que ça allait peut‐être être la dernière. Donc, mon objectif, c’est de savourer au maximum, de me faire plaisir, d’aller dans endroits où je ne suis jamais allé… Quitte à jouer sur des tournois relevés. Bon et puis la Guadeloupe, c’est une destination très sympathique… J’essaie de passer du temps au soleil. Ici, je suis servi !
Avant, tu avais tendance à t’exiler un peu sur des tournois moins relevés pour gagner des points facilement ?
Bien sûr ! Notamment quand je cherchais à monter ou remonter au classement. A une époque, j’étais 900ème mondial et je m’étais concocté un programme qui me faisait jouer dans des endroits éloignés, avec peu d’adversité. Puis, quand j’ai été proche de monter dans le top 100, j’ai tout mis en œuvre pour y arriver. J’ai disputé des épreuves dans lesquelles j’étais tête de série. Egalement des tournois plus couteux, sans hébergement, qui rebutaient d’autres joueurs. Sélection naturelle. La tactique a marché, jusqu’à un certain point. Il y a un moment où tu es obligé de battre des bons joueurs. Au final, l’étau se resserre et on ne peut plus se cacher.
Tu as déjà joué dans des pays improbables, aux conditions extrêmes ?
Bien sûr. J’ai joué en Egypte, en Ouzbékistan, en Inde, en Iran… En Ouzbékistan, notamment, c’était particulier. A l’hôtel, c’était n’importe quoi. Il fallait payer ta chambre tous les soirs avec des liasses de billets, parce que la monnaie ne valait rien. Il y avait des militaires qui contrôlaient l’entrée du sauna et qui nous faisaient payer un prix différent tous les jours. Dans les cybercafés, les tarifs augmentaient chaque fois qu’on y allait, ils voyaient qu’on revenait… Des péripéties amusantes, quoi !
Et ça ne te dérange pas de revenir au circuit secondaire après avoir joué à Miami ou à Monte Carlo ?
Non, non ! Par contre, je ne rejouerai plus en Futures. Il y a deux ans, j’avais fini en beauté sur les tournois Futures et j’avais dit que je n’y reviendrai plus. Cette année, je m’étais même préparé à rejouer des qualifs de Challengers. Si je redescends à la 300ème place, je devrai en passer par là. Mais, tant que je suis sur le circuit, que je sois sur le grand ou sur le secondaire, ça ne me pose pas de problèmes !
Il y a vraiment de grandes différences entre le circuit principal et le circuit secondaire ?
La différence se fait à plusieurs niveaux. Le prize‐money, déjà, même si c’est l’ATP qui gère la chose en Grand Prix, comme en Challenger. Mais aussi au niveau de la prise en charge des joueurs. Quand on joue un Masters 1000, on dort dans des hôtels incroyables, on est reçu comme des rois, tout est payé pendant sept jours… L’aide financière est supérieure. Sur un Challenger, tu vas avoir cinq nuits de payées, souvent, mais, après, il faut gagner, sinon, tu douilles. Mais on est déjà très bien, quoi qu’il arrive ! (Rires)
Toi qui est resté un bon moment sur ce circuit secondaire, tu n’en as pas eu marre, à un moment, de ne pas intégrer les Grands Prix ou les événements plus importants ?
Non, ça ne m’a pas dérangé. D’autant que je n’ai jamais vraiment été à mon aise sur le grand circuit. Aujourd’hui, je reviens sur des tournois où je me suis toujours bien senti. Evidemment, j’espère, quand même, avoir l’opportunité de revenir sur le circuit principal, retenter ma chance et être plus performant.
Tu sais ce qui a pêché, pour toi, sur le grand circuit ?
J’ai fait des erreurs, j’ai fait de mauvais choix. On a voulu changer beaucoup de choses dans mon jeu et, au final, je me suis perdu. J’ai perdu pied, j’ai perdu confiance… Je me suis posé trop de questions. Il y a eu un moment où je ne gagnais plus un match et, pourtant, je continuais à m’aligner sur des Grands Prix. Je n’aurais jamais dû le faire, si j’avais voulu rester dans les 100. C’était réfléchi, c’est vrai, je voulais jouer des grands tournois que je n’avais jamais joué, plutôt que retourner sur le circuit Challenger. J’en ai profité financièrement aussi. Mais je n’étais pas performant et je ne prenais pas vraiment de plaisir.
Entre les qualifs d’un Grand Prix et un Challenger comme celui‐là (Le Gosier, en Guadeloupe, 100 000 + H), quel choix tu ferais ?
Je fais mes choix en fonction de mon état. Là, j’ai décidé de ne jouer que des Challengers jusqu’à Roland Garros et, même, jusqu’à Wimbledon. Après, ça dépend aussi de mon classement et de mes résultats. Si je joue très bien et que je me repositionne, je vais rejouer sur le grand circuit. Mais, pour l’instant, tant que je ne rentre pas dans les 150, je reste sur ma ligne de conduite à jouer des Challengers : regagner des matches, de la confiance, des automatismes… Tout remettre en place ! C’est à ça que ces tournois servent. Je retournerai tenter ma chance sur de plus gros tournois par la suite, bien sûr.
Tu joueras quand même les qualifications de Roland Garros ?
Oui, bien sûr, je serai présent aux qualifs ! Maintenant, au niveau du classement, je ne sais pas comment ça va se passer. Ca va peut‐être être compliqué, les inscriptions arrivant dans pas longtemps. Je me suis qualifié en Australie, donc j’aimerai bien me qualifier à Roland Garros également. Jouer les qualifs des quatre Grands Chelems, ça me plairait pas mal ! (Sourire)
Aujourd’hui, tu préfèrerais un titre en Challenger ou une victoire sur un top player ?
Moi, je prends un titre en Challenger ! Après, ça dépend du poids de la victoire contre le bon joueur… Si j’avais battu Almagro, au premier tour à l’Open d’Australie (en 2010), j’aurais gagné pas mal de points. Un titre en Challenger, ça va de 80 à 110 points. Actuellement, je suis plus dans une logique de gagner des points, parce que c’est ce qui fait avancer au classement. Et le classement, ce sont des points, non des victoires contre des top players.
Il y a une bonne ambiance entre les joueurs du circuit secondaire ? Visiblement, ce n’est pas vraiment le cas chez les filles…
C’est vrai que, chez les gars, on est assez cools, on se connait tous bien. Après, moi, je n’ai pas un caractère difficile, je m’entends bien avec tout monde. Sur le circuit secondaire, on arrive à faire la part des choses entre les matches et la vie en‐dehors. Sur le terrain, on se bat à fond, mais, la rencontre terminée, on est heureux de passer du temps ensemble. Je suis allé faire un petit tour sur le circuit féminin, à Doha, en janvier. J’avais trouvé que l’ambiance était quand même assez tranquille ! Après, il y a des différences de caractère entre les hommes et les femmes. Je pense que les femmes sont beaucoup plus jalouses ou envieuses entre elles, surtout quand elles sont dans une idée de performance.
Il y a des jalousies sur le circuit ? Quand tu es entré dans les 100, par exemple…
Non. Je n’en ai pas ressenties. On sait tous à quel point c’est difficile de monter. Quand il y en a un qui réussit, tout le monde est content. Il y a un vrai respect. Moi, je souhaite à tous les joueurs d’entrer dans les 100, pour vivre ces expériences, parce que c’est génial, tout simplement. D’autant que tous les gars se battent comme des dingues pour y arriver.
Le top 100, c’est vraiment l’objectif de tous les joueurs du circuit secondaire ?
Je ne sais pas quel est l’objectif exact de chacun. Mais, notre métier, c’est quand même de jouer au tennis. On essaie de gagner notre vie grâce à ce sport. Et, globalement, pour arriver à tirer des bénéfices du tennis, il faut rentrer dans les 200 ou 150 meilleurs au monde.
Une fois le top 100 atteint, on imagine que la différence se fait vraiment sentir au niveau financier…
Ah oui, bien sûr ! En 2010, en une année passée sur le circuit principal, j’ai gagné autant qu’en six ans de carrière. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
On parle beaucoup des garanties qu’on donne sur le grand circuit pour attirer les joueurs. C’est aussi quelque chose de fréquent sur le circuit Challenger ?
Ca existe. Je ne sais pas comment ça se passe en Guadeloupe, je pense qu’il y en avait. Moi, j’ai déjà eu des garanties pour venir jouer des tournois. C’est clair qu’il y a de l’argent qui circule sous la table. Il est déclaré, hein, mais c’est du prize‐money officieux !
A tes débuts, tu te souviens d’avoir été en galère, financièrement ? C’est quelque chose que tu as vécu, devoir calculer chaque dépense, faire attention à tout ?
Honnêtement, je ne sais pas trop ce qu’il en est de tout ça. Les gens sont toujours à se plaindre, je trouve… C’est clair que c’est dur. Mais j’ai toujours essayé de m’arranger pour avoir un peu d’argent de côté et ne pas avoir à me dire : « Il faut que je gagne pour tenir financièrement. » D’autant qu’on a quand même la chance d’être en France ; il y a des pays où c’est certainement plus difficile… Après, à mon âge, je vais peut‐être un peu plus jouer pour l’argent. Mais, jusqu’à maintenant, c’était loin d’être ma principale préoccupation. J’ai toujours un peu joué au panache, pour monter au classement. Je n’avais que ça en tête, d’ailleurs. Aujourd’hui, c’est un peu différent. La roue tourne, je vais bientôt devoir me poser. Je jouerai toujours pour le plaisir, mais il y aura d’autres enjeux. L’an dernier, j’avais fait un très bon bilan financier. Cette année, je vais essayer de faire un truc pas mal, peut‐être jouer différemment. Jouer dans les championnats étrangers, etc. M’assurer un peu d’argent de cette façon, c’est quelque chose que je n’ai jamais vraiment fait par le passé.
Les matches par équipes ?
Oui. Je vais être obligé d’en passer par là, si je veux pouvoir m’acheter un appartement ou une maison, des choses comme ça…
C’est parce que tu sens la fin de carrière arriver ? 2011, 2012…
Non, quand je joue comme ça (NDLR : il était en finale, en Guadeloupe), je me dis que je peux continuer encore pas mal de temps. L’envie est là ! Après, il y a un moment où on a la volonté, mais où le jeu n’y est plus. C’est le classement qui dicte les choses. Si j’ai envie de jouer, mais que je suis 500ème mondial, je vais commencer à réfléchir. Le tennis est rentable jusqu’à un certain point. Et quand il ne l’est plus, ça veut dire que les performances ne sont plus là… Et on commence à réfléchir, surtout 30 ans passés. Mais tant que je suis compétitif et que j’arrive à gagner ma vie sur le circuit – en restant sur des Challengers et des qualifs de Grand Chelem -, je continue. Je joue pas mal depuis le début de la saison, c’est vraiment plaisant. Quand je suis comme ça, je me sens très, très bien. Et si le physique suit… C’est parfait ! (Rires)
Publié le jeudi 7 avril 2011 à 19:00