AccueilInterviewsNathalie Dechy : "Il y a un machisme dans le tennis et...

Nathalie Dechy : « Il y a un machisme dans le tennis et les média »

-

Autre ex‐joueuse, autre jeune retraitée, autre membre de la géné­ra­tion 79… Après Emilie Loit, c’est Nathalie Dechy, Marraine du 3ème Open GDF SUEZ de Lyon (du 28 février au 6 mars 2011), qui nous donne son avis sur le tennis féminin actuel et ses grandes problé­ma­tiques.

Un entre­tien à retrouver en partie dans GrandChelem numéro 21. C’est ici.

A suivre : entre­tiens avec Camille Pin, Patrick Mouratoglou, Régis Brunet, Marc Moroux, Alexandra Fusai, Ons Jabeur, Elina Svitolina et Sam Sumyk.

Comment expliques‐tu ce trou béant qu’il y a, aujourd’hui, dans le tennis féminin fran­çais de haut niveau ?

Il y a un peu de plein de choses, et aussi de malchance. C’est toujours un mélange. En sport, il faut une alchimie et de la réus­site. Il y a toujours des creux et des montagnes. On sort d’une période très faste pour le tennis féminin, qui a été la meilleure période de toute l’histoire. Forcément, à un moment donné, il devait y avoir une petite crise. C’est presque logique. Le seul problème, c’est que ce creux n’ait pas été anticipé. 

Tu dois avoir ton avis de façon plus précise, non ? Ton discours, là, c’est un peu langue de bois…

(Rires) En fait, on a manqué d’un vivier de talents, car il n’y a plus d’ému­la­tion. A mon époque, on était plusieurs bonnes joueuses à se tirer la bourre entre elles. Je me rappelle, on était à l’INSEP. Mais il y a eu un moment où ces pôles ont été supprimés. C’est peut‐être aussi une ques­tion de géné­ra­tion : les parents veulent maîtriser le truc de plus en plus. Mais il n’y a pas que ça non plus. Il est certain qu’il fallait porter et aider les projets indi­vi­duels, sans oublier les projets de masse. Mais sans négliger, non plus, l’excellence des filières Sports‐Etudes, qui sont deve­nues, au contraire, des endroits de second plan. Moins d’émulation, moins d’investissements, moins de qualité chez les entraî­neurs… Moi, quand je suis arrivée à l’INSEP, mon entraî­neur, c’était une ex‐numéro 10 mondiale. Il y avait des gens qui connais­saient le tennis de haut‐niveau. On formait un vrai groupe, avec Amélie Mauresmo, Anne‐Gaëlle Sidot, Emilie Loit… Toutes ensemble, on s’est tirée la bourre. Ça, ça n’a plus existé passé un temps. Pire, l’INSEP a été fermé…

Est‐ce qu’il n’y a pas non plus un rejet général de la femme occi­den­tale par rapport au concept de « compé­ti­tion », par rapport au tennis de compétition ?

Je ne crois pas. Pour devenir une cham­pionne, il faut aimer la compé­ti­tion. Il faut aussi se confronter à la diffi­culté. Tu ne deviens pas une cham­pionne en restant dans du coton ou du velours. C’est pour­quoi se mesurer aux garçons n’est pas un si gros problème que ça. Moi, j’y prenais du plaisir. Aujourd’hui, le problème de la mixité est mis en avant, car il y a un souci de masse et de pratique. Mais c’est un faux problème.

Une femme n’est donc pas forcé­ment hostile à la compétition ?

Clairement, non. Après, c’est évident qu’il faut prendre en compte la problé­ma­tique fémi­nine. Ca, c’est un peu nouveau. Mais j’ai envie de dire : « Enfin ! » L’idée de se remettre en cause, en défi­nis­sant une approche fémi­nine de l’entraînement, ça aussi, c’est très bien. 

Toi, tu n’as pas souf­fert d’être entraînée comme un garçon ?

Non, peut‐être que ça pose des problèmes à certaines filles, mais ça n’était pas mon cas. A mon sens, c’est une problé­ma­tique à prendre en compte, mais ce n’est pas une chose sur laquelle il faut se foca­liser. C’est loin d’être le problème majeur. Ca peut être utile pour créer une nouvelle dyna­mique chez les filles, dans les clubs, certes. Mais, en‐dehors de ça, il faut surtout booster tout ce qui est Pôle France, l’accompagnement des 13–16 ans…

13–16 ans, c’est la période char­nière, non ?

Exactement, c’est là que tout se joue. A cet âge, tu sais très vite si tu as les moyens de passer pro ou si tu dois renoncer à une carrière de haut niveau. 

Sans le très haut niveau, point de salut ?

Evidemment, et c’est d’autant plus vrai chez les filles ! Une fille aura bien plus de mal qu’un mec à vivoter sur le circuit Challenger. Pis, menta­le­ment, elle n’ac­cep­tera pas d’être une joueuse de ce niveau très long­temps. Elle préfé­rera faire des études, avoir des enfants… Un homme, entre la 120ème et la 300ème place, il peut y arriver. D’ailleurs, beau­coup restent à ce niveau presque toute leur carrière. 

On a vu où le bât blesse en France. A l’échelle inter­na­tio­nale, que penses‐tu du tennis féminin et de la crise qu’on perçoit ?

Attention, on voit aussi une crise, par compa­raison à ce que l’on constate chez les garçons. Eux vivent une période telle­ment belle, c’est fran­che­ment diffi­cile de comparer. 

Certains le disent, il ne faut pas comparer, ce sont deux plai­sirs différents…

Là, je suis d’accord. Il y a beau­coup plus d’émo­tions chez les femmes. On est plus émotive et, comme on a moins de puis­sance, ça se joue vrai­ment sur le tennis. Après, je pense aussi qu’il y a des périodes et des cycles. En ce moment, on vit une période compli­quée, mais ce n’est pas une fatalité.

Numéro une mondiale sans victoire en Grand Chelem, qu’est-ce que ça t’inspire ?

La pauvre Caroline (Wozniacki), c’est n’est pas de sa faute ! C’est la faute du système. Pour moi, l’im­por­tant, ce sont les victoires en Grand Chelem. 

Ca ne déva­lo­rise pas l’image que l’on a du circuit ?

Du circuit, oui, mais pas des Grands Chelems. Quand tu gagnes des tour­nois du Grand Chelem, tu deviens une championne.

Henin et Clijsters sont très vite reve­nues au top. On a l’impression que revenir, c’est plus facile chez les filles que chez les garçons ?

Je pense que leur niveau est avant tout unique. Justine y est arrivée, mais elle n’a pas retrouvé le niveau qu’elle avait avant son départ. Après, ce sont des joueuses qui ont arrêté, l’une pour avoir un bébé, l’autre pour prendre du bon temps. Chez les mecs, vous avez aussi un exemple du même type : Muster, il est revenu d’une grave bles­sure pour gagner Roland Garros. Pour autant, a‑t‐on dit que le tennis masculin était d’un faible niveau ? Ce sont des débats qui m’agacent.

C’est‐à‐dire ?

Je n’ai jamais joué pour la média­ti­sa­tion ou l’argent. J’ai joué pour mon sport, j’ai joué parce que j’aimais jouer. Mais, dans les médias, le sport féminin est très peu repré­senté par rapport au sport masculin. Quand Tsonga fait finale à Melbourne, c’est un événe­ment. Quand Amélie gagne à Wimbledon, elle ne fait même pas la couver­ture de L’Equipe. Pourtant, un match de l’équipe de France de foot, c’est peanuts comparé à cette victoire. La dernière qui avait remporté Wimbledon, c’était Suzanne Lenglen ! Il y a un machisme dans le tennis, mais aussi dans les médias. Un exemple : le nombre de Unes, dans L’Equipe Mag, consa­crées aux spor­tifs… Par rapport aux spor­tives, il n’y a aucune compa­raison possible, en termes de quantité.

Tu me tends la perche : l’avènement d’Amélie Mauresmo a été bien exploité ? On a l’impression que ce n’est pas tout à fait le cas…

Je pense que les gens n’ont pas réalisé la portée de ce qu’avait réussi Amélie, sur le moment. Il y a plusieurs raisons. Déjà, en France, le tennis, c’est Roland Garros. Vu qu’elle ne réus­sis­sait pas à Roland… Ensuite, le monde du sport est un monde très macho. Pour être une cham­pionne en France, il faut en faire trois fois plus qu’un garçon. Ca se démontre par A+B dans les médias. Amélie, elle a été numéro une mondiale, elle a gagné Wimbledon, elle a gagné les Masters… On n’a jamais eu une joueuse de ce niveau en France, on n’avait même jamais eu ce niveau de tennis avant. Mais cette cham­pionne, avec toutes ses émotions, elle était fragile à Roland. Et ça, le grand public le lui a fait payer. Il l’a résumée à ça. Peut‐être que la Fédé n’a pas assez utilisé son image, non plus. Alors que c’est une grande cham­pionne, avec des valeurs, qui s’est toujours bien comporté sur le court, qui a toujours repré­senté son pays.

Article précédent
Article suivant