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Patrick Labazuy

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« En France, on n’en­tend pas assez des mots comme audace, tenter, bravo » 
Responsable du Pôle France de Poitiers, Patrick Labazuy a inau­guré une expé­rience concrète d’échanges tennis­tiques en invi­tant les entrai­neurs et les jeunes talents du Pole Espoir espa­gnol à venir se confonter aux meilleurs fran­çais. Une semaine d’en­trai­ne­ment et de jeu libre riche en ensei­gne­ments que ce passionné de la péda­gogie active nous a restitué en un temps record.

Patrick, vous venez juste de rece­voir les jeunes Espagnols pendant une semaine au Pole France de Poitiers, qu’en est‐il ressorti ?

Il en ressort qu’on est bien plus en avance qu’on ne le croit. Dans l’échauf­fe­ment, dans les rituels d’avant match, dans le condi­tion­ne­ment, quand les Espagnols rentrent sur le court, il ne se passe rien. 

C’est bien ? c’est mal ?

Non, mais ça veut dire deux choses. 1) Ce sont des joueurs avant tout, ils aiment le jeu libre 2) Ils ont compris que le tennis commen­çait à 17, 18 ans et que c’est une affaire de combattants. 

Côté entraî­neurs, ça se passe comment ?

Même chose. Ils leur donne très peu de consignes, font très peu d’in­ter­ven­tions, laisse les enfants libres. 

Mais ça veut dire que des gamins ont balancé des raquettes et qu’eux n’in­ter­ve­naient pas ?

Oui, on a pu voir ça. Certains gosses ne se tenaient pas forcé­ment très bien et les entraî­neurs n’in­ter­ve­naient pas. On leur a quand même fait quelques remarques et le dernier jour, ils ont repris un des gamins qui se tenait mal. 

Mais la diffé­rence vient de quoi ?

Je dirais que ça vient de l’édu­ca­tion à la fran­çaise. En France, on n’aime pas voir un gamin gueuler, jeter une raquette sans inter­venir immé­dia­te­ment pour le reca­drer. Il y a une éduca­tion tennis­tique qui se double d’une éduca­tion plus large, d’une palette complète de valeurs qu’on va essayer de trans­mettre. L’éducation est prise au sens large, quelque part dans un sens plus intello. Ca a ses avan­tages et ses défauts aussi. 

Est‐ce que c’est si problé­ma­tique que ça de balancer une raquette ?

C’est juste­ment le point sur lequel j’ai attiré l’at­ten­tion de mes entraî­neurs. Le truc le plus impor­tant chez nos jeunes, ce sur quoi on veut travailler, c’est leur ego. Donc quand ils balancent une raquette, la ques­tion ça doit être « quelle est la consé­quence ? Estce que ça a une influence sur son jeu ? ». Si son jeu se détruit, ce n’est pas tolé­rable, mais si le jeu ne s’en ressent pas, on peut aussi se dire « pour­quoi pas ? ». 

D’autres diffé­rences cultu­relles à première vue ?

Oui, la diffé­rence des calen­driers et le temps. Sur le calen­drier, ils ont 44 Futures en Espagne alors qu’on doit en avoir qu’une tren­taine en France. Ce calen­drier permet à ces joueurs d’ex­pé­ri­menter très vite un monde de semi‐pros, de voir qu’il est abor­dable, qu’on peut y avoir sa chance. Enfin il y a le temps, le soleil, le fait pour eux de jouer dehors pendant toute l’année, de jouer tout le temps. 

Ils jouent sur quelle surface ?

Sur tout, terre battue, green set, pas de problème. Nous ce sont des condi­tions qu’on ne peut avoir que dans le sud‐est de la France. 

De leur côté, qu’est‐ce que les Espagnols ont appris ?

D’abord ils savaient qu’ils venaient dans le pays idéal du point de vue de la forma­tion. Il faut savoir qu’il n’y a qu’une quin­zaine d’en­traî­neurs natio­naux en Espagne. En France, vous en avez entre trois et quatre par Ligue, ce qui veut dire une grosse centaine d’en­traî­neurs sur tout le territoire. 

Mais là aussi qu’est‐ce que vous avez appris en regar­dant vivre vos confrères ?

Moi je retiens l’en­thou­siasme de ces entraî­neurs. Ce sont des gens très gais, très souriants, très posi­tifs. Je trouve qu’on ne s’en­thou­siasme pas assez en France. On devrait plus souvent dire à nos enfants qu’on est super content. Quand vous allez passé les brevets d’en­traî­neur, vous allez rece­voir 8 consignes sur 10 qui sont néga­tives et c’est celles que vous allez répéter à vos enfants : « Fais pas ci, fais pas ça ». Mais je n’en­tends pas assez des termes comme « audace », « tenter », « bravo ». 

Est‐ce qu’on peut main­te­nant rentrer dans les détails de cette semaine ?

On a débuté par des jour­nées avec des séances très orien­tées, très fermées, presque rébar­ba­tives parce que je voulais voir comment tout le monde allait réagir. Et on voit que les Espagnols n’aiment pas quelque chose d’aussi encadré, répé­titif. De leur côté, nos jeunes ont adoré parce que ça les a rassuré sur leur niveau tech­nique et sur le niveau de notre forma­tion. Ils sont en avance sur les Espagnols. Il y avait même un petit côté « C’est des bran­leurs ou quoi ?». Et puis à partir de jeudi on a lancé du jeu libre, des matches. « Puntos » comme disent les Espagnols et là c’était tout de suite autre chose. Les gars se sont éclatés. Les Espagnols étaient dans leurs éléments. Il y avait tout à coup cette envie, cet orgueil incroyable, cet ego. Ils prennent un plaisir fou à courir partout et l’autre chose qui nous a frappé, c’est qu’ils acceptent de mal jouer pour gagner. Ils s’adaptent à cette frus­tra­tion. Nous on a encore du mal. 

Pourquoi ?

Parce qu’il y a notre culture du beau geste, du beau jeu, et que gagner en jouant mal n’est pas suffi­sant en France. Les Espagnols acceptent menta­le­ment ces moments‐là. Techniquement on a égale­ment remarqué qu’ils avaient des prises très fermées, qu’ils se servaient beau­coup de l’amortie sur terre battue et qu’ils avaient un pour­cen­tage de 1ère et 2ème balles assez incroyable : 83% sur la moyenne des matches, c’est énorme. Et derrière ça, ils courent partout, ils sont indébordables. 

Après ça, vos jeunes ont‐ils compris où se trou­vait le talent de Ferrer ou de Robredo ?

Ah mais tout à fait ! Il n’y a qu’à voir une chose. A la sortie de la matinée de matches, quand on leur a dit qu’ils allaient devoir remettre ça l’après‐midi contre les Espagnols, on a tout de suite vu dans leurs yeux que ça allait être dur. Il ne faut pas que nous deve­nions des joueurs d’entrainement. 

Patrice Dominguez, votre DTN, insiste juste­ment sur la notion de jeu libre, jouer des sets, jouer des matches, s’amuser.

Ca me fait penser à quelque chose d’autre. J’ai assisté à Roland Garros à l’en­traî­ne­ment de Nadal le matin de la finale contre Federer. Je n’avais jamais vu ça. C’était n’im­porte quoi, des coups entre les jambes, des amortis rétros, il n’a fat que s’amuser. Un entraî­neur fran­çais aurait vu ça, il se serait arraché les cheveux, mais ça montrait au contraire que Nadal se sentait bien, qu’il était décon­tracté, libéré. Il faut favo­riser cette libé­ra­tion. Il faut laisser libre. 

Mais ça voudrait dire que l’en­traî­neur fran­çais accepte de perdre le pouvoir sur son joueur. Etes‐vous capable de ça ?

Ce n’est pas un pouvoir, c’est simple­ment que tout le monde veut être rassuré. Moi il y a quelques temps, j’ai proposé pendant quatre mercredi par mois aux entraî­neurs de laisser les enfants jouer les matches, sans inter­venir. Résultat, les parents vous tombent dessus en vous deman­dant à quoi vous servez, donc fata­le­ment on va rassurer les parents en leur montrant qu’on s’oc­cupe des enfants, en faisant de la péda­gogie le long du terrain. Le problème commence avec l’édu­ca­tion fran­çaise. C’est un éduca­tion qu tourne autour d’un mot « Attention ». On est frileux, on a peur, on est un pays qui fonc­tionne dans le jugement . 

Mais ça ressemble surtout à un besoin d’amour : besoin des enfants de montrer qu’ils aiment leurs parents en faisant ce qu’ils veulent, besoin des parents de montrer qu’ils s’in­té­ressent à leurs enfants.

Oui, mais le problème c’est que ce cordon ombi­lical a du mal à être coupé. Je ne compte pas le nombre de jeunes qui se retournent vers leurs parents après chaque point. La compa­raison avec les Espagnols nous a égale­ment permis de voir le confort dans lequel on vivait alors que le tennis devient hyper concur­ren­tiel. Tous nos enfants ont un contrat textile, un contrat raquettes, un contrat chaus­sures, même pour le 4ème ou 5ème joueur fran­çais, quel­qu’un qui est encore loin du compte alors que les gamins espa­gnols n’avaient rien de tout ça. Attention, on a une tendance à s’embourgeoiser.