Jacques Dorfmann
Roland‐Garros a déjà été menacé dans les années 70 par les Internationaux d’ItalieJuge‐arbitre mythique du Roland‐Garros de l’âge d’or, Jacques Dorfmann continue encore d’officier bien au‐delà de l’âge de la retraite, dans les tournois de jeunes et pour le simple plaisir du jeu. GrandChelem l’a croisé à Monte‐Carlo où le bon Dorfy nous a redonné une petite leçon d’histoire. Même fragilisé, Roland‐Garros ne meurt jamais.
Jacques, on ne s’en souvient plus mais il y a eu un moment au milieu des années 70 où à Roland‐Garros il n’y avait plus les meilleurs joueurs. Et puis ils sont revenus peut‐être à cause du lien particulier qu’ils avaient avec toi ?
Effectivement j’ai connu un temps où je ne dirais pas que Roland‐ Garros était menacé mais où les installations n’étaient plus à la hauteur d’un Grand Chelem. Je crois pouvoir dire qu’avant l’arrivée de Philippe Chatrier en 1967–68, les Internationaux d’Italie disposaient de facilités et d’équipements qui faisaient que seule la tradition permettait à Roland‐Garros de rester un Grand Chelem. Maintenant que Roland s’est modernisé, a fait les efforts nécessaires pour être au niveau, je ne suis pas inquiet pour l’avenir du tournoi.
Même quand il y a un Tiriac qui annonce un grand tournoi à Madrid, même avec des gens du tennis qui parlent d’un cinquième Grand Chelem en Asie ?
Moi ça ne me choquerait pas profondément qu’il y ait un 5ème tournoi, et je ne pense pas que Roland‐Garros souffrirait beaucoup de la présence d’un 5ème Grand Chelem. Cela dit, attaché comme je le suis à la tradition, je préfèrerais tout de même qu’on en reste à ces quatre piliers.
Ubaldo Scannagata
Je ne crois plus que Roland‐Garros soit en dangerPlume incontournable du tennis italien, à la tête de son propre blog et d’une nouvelle plateforme européenne ubitennis.com, Ubaldo Scanagatta a été le témoin de ce moment où le tennis transalpin aurait pu basculer dans la légende des Grands Chelems. Retour sur un épisode méconnu.
Ubaldo, Jacques Dorfman m’a dit que dans les années 70, Roland Garros n’avait plus les structures suffisantes pour recevoir un Grand Chelem et que Rome paraissait une alternative viable avec un équipement bien supérieur.
C’est plus compliqué que ça. Vers 1972, c’est l’Open d’Australie qui était en grande difficulté, ils étaient en train de se demander comment changer la formule ou la date, et Rome avait une belle opportunité pour devenir un Grand Chelem. Les joueurs trouvaient la ville jolie, l’atmosphère était agréable. Malheureusement les dirigeants du tennis italien étaient très « provinciaux » si je puis dire, et ils n’ont pas compris que c’était un moment capital. L’Open d’Australie était en position de faiblesse, les joueurs australiens avaient disparu après Newcombe et Roche, et Rome a perdu cette chance car le président de la fédération italienne ne savait parler ni anglais, ni français, et toute son équipe était provinciale, ne pensait pas au tennis international. C’est pour ça que c’est plutôt Rome qui a passé des années très difficiles surtout dans les années 80 avec des finales Gomez‐Krickstein ou Gomez‐Teltscher. Des finales horribles où les gens ne venaient plus au stade. Au milieu des années 80, les dirigeants ont compris qu’il fallait changer quelque chose, ont compris l’importance du village, de l’hospitalité, et l’image de Rome s’est beaucoup améliorée. Mais l’opportunité de devenir un des plus grands tournois du monde était perdue. On n’a pas non plus eu le courage de quitter le Foro Italico qui est un endroit magnifique mais qui est trop petit pour un tournoi du Grand Chelem.
Est‐ce que Roland Garros est dans la même situation aujourd’hui ?
Non, je ne crois pas parce que la France a toujours pensé grand. Philippe Chatrier était un grand maître. Christian Bîmes n’est peut‐être pas dans la même idée de grandeur, mais j’ai l’impression qu’il veut bien faire. Je trouve que Roland Garros a fait beaucoup de progrès depuis qu’on a construit le court Suzanne Lenglen, et qu’on parle d’un nouveau central couvert. Alors comme vous le savez, Paris a perdu les J.O 2012 et ça veut dire qu’il y a encore sûrement quelques petits problèmes pour faire avancer les projets mais je ne crois pas que Roland Garros soit en danger de perdre sa place. Et puis tout le monde parle de Madrid comme autre option, mais Madrid est trop lié à Ion Tiriac. Le jour où il n’y a plus de Nadal en Espagne et où on retrouve un nouveau Becker en Allemagne, Tiriac part en Allemagne. Et puis Tiriac a 70 ans, il n’est plus tellement jeune…
Est‐ce que cette remise en cause ne traduit pas surtout l’affaiblissement de la place de la terre battue dans le calendrier générale alors que c’est une surface qui permet tous les jeux et évite plein de blessures ?
C’est tout à fait sûr que pour tout le monde c’est mieux de jouer sur terre battue. Le problème c’est le calendrier, c’est qu’à la fin de l’année, tout le monde est cassé. Les joueurs sont plus ou moins obligés d’enchaîner les tournois les uns derrière les autres. Entre Indian Wells et Miami il n’y a même pas une semaine de repos pour récupérer. Et celui qui arrive en finale à Indian Wells se fait battre au premier tour à Key Biscayne comme ça s’est passé avec Djokovic et Ivanovic. Sans parler des autres stars qui ont des balles de match à sauver dès le premier tour. Il faudrait réfléchir sur ça, mais ça me semble à peu près aussi stérile que la volonté de revenir à la raquette en bois.
Dans Tennis Magazine, Richard Evans a repris les déclarations de John Alexander sur les procès que pourraient faire à l’avenir certains joueurs contre les organisateurs pour les avoir fait jouer sur des surfaces dangereuses, comme des fumeurs ont poursuivi des cigaretters pour ne pas avoir été informé que la fumée tue, qu’est‐ce que tu en penses ?
Oui, le problème c’est qu’il va falloir attendre 15 ans pour savoir tout ça, savoir si quelqu’un a les épaules et le dos qui lui font mal.
On n’a peut‐être pas besoin d’attendre 15 ans, on a croisé Gustavo Kuerten hier…
Oui, Kuerten qui a ce problème à la hanche, mais je crois que c’est très difficile de trouver une solution et pour la raison suivante : quand les joueurs débarquent, ils sont jeunes, ils sont forts, ils se sentent champions, ils n’ont pas le temps de se préoccuper de leur santé, du calendrier, des surfaces. C’est quelqu’un d’autre, quelqu’un qui a 45 ans, qui est avocat, manager, qui devient dirigeant et dont la préoccupation n’est pas de savoir dans quel état physique seront les joueurs dans 10, 15 ans. Je considère que c’est déjà un gros progrès que l’an dernier Nadal et Federer soient venus parler pour dénoncer certaines choses de l’ATP qui ne marchaient pas bien.
C’était un des rares moments politiques dans le tennis des années 2000
Oui c’est très rare de la part de joueurs de faire ça. Ils sont avant tout là pour se concentrer sur le tennis et ne pas parler de politique. L’ATP a toujours été une association de joueurs conduits par des managers américains et qui ont des « contacts » avec les joueurs. Voilà des contacts. En conséquence c’est difficile de demander à un gamin de 20 ans comme Nadal de faire de la politique, et à mon avis, je crois que cela ne changera jamais.
Est‐ce qu’on traverse une période bénie du tennis ?
Oui je trouve que depuis 3 ans on ne vivait que sur le duel Nadal‐Federer. Maintenant il y a Djokovic, Davydenko, la jeune génération avec Gasquet, Murray, peut‐être Berdych pas loin. Tsonga était une très bonne surprise en Australie. J’ai pas mal de confiance en notre Simone Bolelli. Je trouve que le tennis est en bonne santé. Chaque pays a un gros champion qui conduit tous les autres. Dans les trente dernières années, l’Italie n’a plus eu un joueur dans le top 10, le dernier c’était Barazzuti en 1978, avant ça Panatta en 1976. Donc depuis cent Grands Chelems, on n’a plus eu un joueur italien dans les demi‐finales. Et pourtant je suis optimiste car si un sport est capable de résister sur la scène internationale sans aucun champion, c’est que ça ne va pas si mal.
Oui, c’est assez incroyable l’importance du lectorat italien alors même que vous n’avez plus de super stars
C’est ce que je dis. On est dominé par le football, mais le tennis a quand même réussi à résister et je crois, grâce à la personnalité de certains journalistes.
Comme toi, Ubaldo ?
(Sourires) Non je ne parle pas de moi‐même, mais Rino Tommasi, Gianni Clerici sont des gens qui trouvent leur espace sur les journaux et pourtant sans Italiens dans les premiers mondiaux.
On ne peut qu’être impressionné devant l’éclairage technique et tactique des journalistes italiens sur le tennis, le football, la formule 1, d’où ça vous vient ?
D’abord je trouve que c’est très important d’avoir joué au tennis. Tommasi était en 2ème série italienne, Clerici était numéro 10, moi j’étais en 1ère série et j’ai gagné le championnat italien de 2ème série. Nous étions joueurs discrets mais très passionnés. On connaît le tennis, c’est plus facile alors de décrire pourquoi un joueur a gagné ou perdu. Dans les journaux d’aujourd’hui on lit beaucoup de portraits de personnages, de l’histoire humaine, mais presque personne n’est capable d’expliquer pourquoi un certain type de joueur a gagné ce type de tournoi.
Comment alors expliquer que le plus beau joueur du monde, Omar Camporese, ait eu une carrière inférieure à ce qu’il aurait du avoir ?
Parce que la tête c’est important en tennis et il faut aussi aimer s’entraîner. Omar Camporese avait la classe et le talent mais pas la discipline de Federer.
Richard Evans
Tiriac est un grand homme mais son tournoi à Madrid ne deviendra jamais le 5ème Grand ChelemIl est celui qui dénonce le danger des surfaces rapides, il est également celui qui porte un regard amusé sur les tentatives de déstabilisation de Ion « Big Moustache » Tiriac. Richard Evans remet le Prince des Carpates à sa juste place.
Roland‐Garros serait menacé par le tournoi de Madrid organisé par Tiriac ou l’éventualité d’un 5ème Grand Chelem, qu’en penses‐tu ?
Je pense que c’est une foutaise. (Sourires) Il y a juste un problème à Roland‐Garros, c’est le surencombrement. Les allées sont surpeuplées. Mais je suppose que Christan Bîmes est parfaitement conscient du problème et que le maire de Paris, Bertrand Delanoë, n’est pas stupide. L’extension nécessaire de Roland‐Garros, il l’a promise et il la fera. Maintenant ce ne sera pas facile et je ne vois pas très bien comment ils vont faire pour construire un stade de l’autre côté de l’autoroute. Ils ne vont quand même pas détruire tout le Bois de Boulogne pour ça. Quant au projet d’extension vers la Porte d’Auteuil ça me semble une plaisanterie. En tout cas quelque chose doit être fait. Mais en l’état des lieux, l’idée que Roland‐Garros subirait une menace grandissante de perdre sa place de 4ème Grand Chelem me semble complètement fumeuse. Je suis bien prêt à croire qu’un magnifique tournoi peut se mettre en place en Asie et que Madrid sera un merveilleux événement, mais ça ne peut pas rivaliser avec l’organisation d’u tournoi du Grand Chelem. Mais ce genre de déclaration fait du bien à ceux qui les lâchent. Tiriac adore balancer ce genre de bombes. Il est d’une intelligence brillante qui a toujours mêlé de style de provocation avec un peu de vérité suivi de beaucoup d’actions. C’est un grand homme mais son tournoi à Madrid ne deviendra pas le 5ème Grand Chelem.
Publié le mardi 27 mai 2008 à 15:14