AccueilInterviewsChristian Bîmes:«L’histoire jugera mon bilan»

Christian Bîmes:«L’histoire jugera mon bilan »

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Après l’annonce qu’il ne solli­ci­te­rait pas un nouveau mandat, Welovetennis/GrandChelem a décidé d’aller voir Christian Bîmes pour faire le bilan général de sa prési­dence. Un bilan en forme de drapeau. Du bleu, du blanc mais aussi en rouge. Le Président a pris le temps de vider son sac avant de quitter le siège de l’avenue Gordon Bennett. Cet entre­tien a été « maste­risé » pour le numéro 10 de Grand Chelem qui sort mercredi. 

Président, première chose : peut‐on savoir quel était votre état des lieux quand vous avez récu­péré la Fédération ?
L’était des lieux n’était pas très bon. On avait une très grosse baisse du nombre de licen­ciés puisqu’on était passé de 1,3 million à 1,1 million de licen­ciés en trois ans. On perdait 80 000 licen­ciés chaque année. Même avec une victoire en Coupe Davis à Lyon face aux Américains, une victoire qui avait surpris tout le monde, le tennis fran­çais n’allait pas bien. Il n’y avait pas de résul­tats constants ni chez les femmes, ni chez les hommes. Et puis surtout il y avait un grand trou en plein milieu de Roland Garros. C’était en effet le début des travaux du Suzanne Lenglen et il y avait une procé­dure qui avait fait mouche et qui nous avait amené à arrêter les travaux. C’était une situa­tion très préoc­cu­pante avec un bilan finan­cier qui était bon, mais pas excep­tionnel, loin s’en faut. 

Quels étaient alors vos objec­tifs à l’époque ?
Ils étaient simples. Il fallait qu’on gagne la Coupe Davis, c’était capital. Il fallait que Roland Garros s’améliore du point de vue du pres­tige car ça allait être la course à l’armement entre les tour­nois du Grand Chelem. Il fallait avoir de meilleurs résul­tats chez les jeunes, et en seniors, d’où mon idée de lancer le mini‐tennis et de le rendre plus popu­laire. A l’époque il y avait à peine 20 000 enfants qui faisaient du mini‐tennis, aujourd’hui il y a en plus de 100 000. 

Est‐ce qu’on peut dessiner un certain nombre d’étapes dans ce mandat ?
Oui, il y a eu d’abord les deux victoires en Coupe Davis, et surtout quatre finales. Donc six finales en dix ans, ça me semble être un beau résultat que l’on doit aux joueurs, brillants, mais aussi aux deux capi­taines, Yannick Noah et Guy Forget, qui ont été de très bons capi­taines. L’équipe de France est aujourd’hui consi­dérée comme une des meilleures du monde même si depuis deux ans, on a eu de moins bons résul­tats. Quant aux filles, on a gagné la Fed Cup deux fois, mais à chaque fois qu’on l’a gagnée, c’est qu’il y avait les meilleures sur le terrain, avec une vraie motivation. 

Alors comment créer ces conditions‐là chaque année autant chez les garçons que chez les filles : aligner les meilleures.
Ecoutez, je crois qu’on est en train de mettre en place un programme impor­tant. On fait une vaste opéra­tion 2012 pour préparer tout le monde aux Jeux Olympiques, aux succes­sives Coupes Davis et Fed Cup, afin de ramener tous ces titres en France. 

Pour ce numéro, on fait un bilan en trois couleurs, bleu‐blanc‐rouge. Qu’est-ce qui est bleu dans votre bilan ?
Le véri­table succès, c’est d’avoir multi­plié par quatre le résultat finan­cier de Roland Garros et d’atteindre cette année un plan de déve­lop­pe­ment de 22 millions d’euros, ce qui est consi­dé­rable. J’ai donc renvoyé une grande partie des béné­fices de Roland Garros vers deux desti­na­tions. La première : les ligues, les dépar­te­ments et les clubs. La deuxième : les travaux de Roland Garros et son agrandissement. 

Petite paren­thèse sur le sujet : on en est où ? est‐ce que vous êtes content de l’avancée du dossier ?
Non seule­ment je suis content, mais on est juste à l’heure. Je voulais avant de quitter la fédé­ra­tion que ce dossier soit lancé, il est lancé. Je suis le respon­sable de ce dossier avec Jean Gachassin, un de mes vice‐présidents, et Jean‐Pierre Empola, le tréso­rier. Je le mènerai à bien et une fois qu’il sera lancé, il vivra un moment très impor­tant, c’est le vote par le conseil muni­cipal en juin prochain. Si ça se confirme, nous fini­rons par avoir ce magni­fique projet au stade Hebert. 

Quoi d’autre en bleu ?
La montée du mini‐tennis, c’est ce dont je suis le plus fier. Quand j’arrive à Roland Garros et que je vois tous ces enfants dans le cadre de leur scola­rité venir faire du mini‐tennis à Roland Garros, je suis très fier. Je suis d’autant plus fier que quand je passe, ils me disent bonjour. Ils connaissent le président de la fédé­ra­tion fran­çaise de tennis. Peut‐être que mon hyper­mé­dia­ti­sa­tion a des incon­vé­nients, on les a vu, on les connaît, mais ça a aussi des avan­tages. Les enfants sont content de venir faire du mini‐tennis dans leur période scolaire. 

Faut‐il faire une statue à Jean‐Claude Marchon, à l’initiative de toute cette opéra­tion mini‐tennis ?
Tout à fait. En 1993, quand je lui ai parlé de ça, et je lui en ai parlé à lui parce que je savais qu’il avait tout compris et qu’on serait tota­le­ment en phase. Et Jean‐Claude Marchon a été un formi­dable relais. Il a compris en deux heures ce que je voulais faire et il l’a fait à la perfec­tion. Si un jour, on fait un tournoi de mini‐tennis, il faut qu’on l’appelle le tournoi Jean‐Claude Marchon. 

Encore un peu de bleu ?
Oui, Roland Garros, le fait que Roland Garros soit devenu un des plus grands tour­nois du monde en dix ans. C’est le plus grand évène­ment sportif fran­çais, et il est orga­nisé à 100% par la fédé­ra­tion. C’est vrai que je m’y suis beau­coup donné. C’est vrai que j’avais un plaisir énorme à l’organiser et à l’orchestrer avec tous les respon­sables et le comité direc­teur de la fédération. 

En blanc, c’est‐à‐dire du domaine de l’améliorable.
Ce qui est amélio­rable, ce sont les résul­tats des tennismen fran­çais. On a 5 joueurs excep­tion­nels avec les quatre jeunes plus Llodra qui sont capables de gagner la Coupe Davis à tout moment. On a un tennis féminin qui mérite une arrivée de nouvelles joueuses. Et pour Roland Garros, on a un besoin absolu d’un agran­dis­se­ment sinon nous allons vers de grandes diffi­cultés car nous nous ferons dépasser par les autres tournois. 

Quand vous parlez de nouvelles joueuses, vous ne trouvez pas qu’il y a un trou de géné­ra­tion ?
Ecoutez, j’entends toujours parler de trous de géné­ra­tion. On disait il y a quelques temps qu’il n’y avait que Gasquet et Monfils, et puis tout à coup ils sont quatre. On a des joueuses qui vont sortir. La petite Amandine Hess est formi­dable. Le travail que fait sa famille est à souli­gner et je vous signale quand même qu’elle a été cham­pionne de France en battant Mladnenovic. Ca prouve que nous avons deux joueuses d’exception avec deux profils iden­tiques, c’est‐à‐dire des projets fami­liaux où tout le monde s’investit. Ces deux projets sont magni­fiques, je veux leur rendre hommage. 

En rouge, ce qui ne va pas… ou peut‐être qu’on attend ici l’autocritique du président.
(Sourire) Oh, j’ai sûre­ment du faire des erreurs et des maladresses pour être autant attaqué, autant jalousé. Mais vous savez, en France, quand on réussit, on est jalousé. Ca, c’est une constante et c’est peut‐être pour ça aussi qu’aujourd’hui notre pays va si bien. (Sourire plus jaune) Moi quand j’arrive aux Etats‐Unis en bas de la tour NBC et que le président descend pour m’accueillir et pour me féli­citer de mon entrée à TF1 quand je suis nommé direc­teur de TF1, ça je ne le vois qu’aux Etats‐Unis. Partout ailleurs ce n’est que remarques acerbes et jalou­sies. Eh bien je pense que c’est une des raisons pour lesquelles notre pays ne fonc­tionne pas aujourd’hui. Trop de jalou­sies. On a monté toute une opéra­tion contre moi à base de lettres anonymes, d’attaques sour­noises, de bruits de couloir. J’ai envie de dire : tout ça pour ça ? Tout ça pour qu’un président finisse par s’user, se fati­guer et jeter l’éponge. Si c’était le but de l’opération, elle est réussie. Mais en tout cas, j’ai encore la passion du tennis et j’observerai tout ce qui se passe. 

On n’aime pas le succès en France ?
Non, on n’aime pas le succès, ça c’est clair. On fait coco­rico quand ça gagne et on fait « Ils ont perdu », quand on a perdu. 

Votre moment person­nel­le­ment le plus émou­vant dans l’ensemble de ce mandat ?
Le moment le plus émou­vant, c’est la nais­sance de mon enfant au soir d’une finale de Bercy en 1998. C’était un bonheur formi­dable pour ma femme et moi. Et puis sur le plan du tennis, les victoires en Coupe Davis et en Fed Cup. 

Et le moment le plus dur ?
Probablement un des moments les plus tristes, c’est quand j’ai pris la déci­sion de ne pas me repré­senter et je me rends compte aujourd’hui que ça a fait beau­coup de peine à certaines personnes. J’ai reçu des centaines et des centaines de mots d’encouragement. Mais je l’ai fait essen­tiel­le­ment dans l’intérêt de ma famille et du tennis fran­çais, parce que cette chasse à l’homme deve­nait insupportable. 

Enfin votre image forte de ce mandat ? Pour nous, c’est Bill Clinton à Roland.
Effectivement, c’est moi qui l’ai invité, en direct. C’est moi qui l’ait fait venir, qui l’ai accueilli, mais il y a eu aussi la famille royale d’Espagne, de Belgique, tous les ministres et les prési­dents de la République, autant Jacques Chirac que Nicolas Sarkozy, qui sont venus. Je pense avoir eu le sens de cela et m’être béné­vo­le­ment consacré au tennis pendant toutes ses années. Pour le reste, l’histoire jugera. 

Cette entre­tien a été réalisé à l’open BNP Paribas Masters.